¿ Qué te pasa joder ?!

Ismaël Esperanza

Des congés, c'était presque inespéré, songe la jeune femme aux lèvres pincées, roulant à toute vitesse dans les rues de Barcelone. Evitant une voiture puis une autre, elle zigzague entre les usagers sans vraiment avoir ni but ni destination ; à part peut-être trouver un parking pour s'y garer et foncer dans le premier club privé qui passera pour aller s'acheter de quoi passer un bon week-end. Quelques jours, c'est tout ce qu'elle s'accorde, ensuite elle repartira vers Paris pour reprendre ses activités. Elle aurait pu aller absolument partout, en Italie, ailleurs en France, en Andalousie si elle voulait retrouver l'Espagne, mais c'est pourtant aux portes de son enfance qu'elle se retrouve. C'est presque inconscient, quand elle a grimpé dans sa vieille 205 pétaradante pour partir en vacances, elle n'avait pas de destination particulière. Descendre vers le sud et la chaleur, c'était la seule chose qu'elle recherchait ; quand elle a atteint les Pyrénées, elle ne s'est pas arrêtée, elle a traversé la frontière. Comme quoi, à toujours vouloir fuir le passé, il a fini par lui revenir de façon totalement inconsciente ; elle s'en rend à peine compte maintenant, que son esprit lui a joué des tours quand elle est partie. Elle a roulé d'une traite jusqu'ici et maintenant, elle voudrait juste se reposer.

En plus, elle n'a jamais beaucoup aimé Barcelone. Eva a toujours trouvé que les touristes faisaient trop de foin avec ce fameux bijou de la Cataluña, ses immenses artères et les voix gueulardes de ses habitants. Les espagnols ne sont pas réputés pour être des gens discrets, et elle en est l'exemple le plus flagrant. Jouant du klaxon dans les embouteillages, la jeune femme double par la gauche, la droite, adresse cris et doigts d'honneur sur son passage en ne laissant dans son sillage qu'une épaisse fumée polluante évacuée par le pot d'échappement toussotant de sa vieille trapanelle. Si elle n'aime pas cette ville, qu'est-ce qu'elle y fait alors ? Un stupide excès de nostalgie, voilà tout. Son regard se pose vaguement sur le chantier de la Sagrada Familia, toujours pas terminée. Si tant est qu'elle le soit un jour, au final.

Et bien sûr, ça ne manque pas. Il était rouge ce feu, mais avant qu'elle le reconnaisse sur le constat, il peut se passer beaucoup de temps. Pourtant, alors qu'elle observe la bâtisse, elle le grille allègrement ; un coup de klaxon, un autre et puis le BOUM ! qui la projette en avant, les yeux écarquillés, retenue par la ceinture de sécurité qui lui épargne un vol plané sur la route une fois le pare-brise traversé. Il paraît que le choc équivaut à une chute de quatre étages. Et l'avant de sa bagnole a pris cher. Très cher. « ¡ Joder ! » s'exclame-t-elle par réflexe, avant de poser les yeux sur l'autre voiture entièrement responsable de l'accident. Comment va-t-elle faire maintenant ? Sa bagnole est foutue putain, elle a à peine le temps de la garer à cheval sur le trottoir que l'autre conducteur fait de même ; apparemment, elle ne passera pas à côté d'une sévère engueulade.

Furieuse, Eva s'extirpe de l'habitacle. Dehors, dans la rue, elle dévisage un garçon qui vient de descendre de sa voiture, aussi choqué que furieux. Il n'a pas le temps d'en placer une qu'elle est déjà en train de hurler. « Qué te pasa joder, ¿ No puedes leer una luz roja ? » aboie-t-elle en direction du garçon, jeune. Trop jeune pour avoir un volant dans les mains, d'ailleurs. « ¡ Mi auto está arruinado por tu culpa, gilipollas ! »