Plantée dans le sol, Elisa porta son poids du corps vers l’avant pour freiner et ne pas se retrouver en dehors des tatamis. Elle posa un regard déterminé sur son adversaire, haletante. Cela faisait un bon moment maintenant qu’ils s’entraînaient et aucun des deux n’avait encore flanché. La rouquine devenait de plus en plus endurante et coriace. Elle commençait aussi à discerner les failles de son entraîneur et à les exploiter. Cependant, elle ne l’avait jamais mis au tapis. Pas encore. Et Elisa De Costemore n’aimait pas perdre, c’était un mot qui ne faisait pas parti de son vocabulaire. Elle ne perdait jamais, soit elle gagnait, soit elle apprenait, pas d’autres alternatives possibles.

Se battre était une des choses qu’Elisa avait appris plus ou moins seule avant son arrivée sur l’île, quand elle traînait avec la bande. Pour elle, la danse et le combat étaient deux choses presque similaires. Elle apprenait de l’un pour s’améliorer dans l’autre et inversement. Tout est une question de perspectives. La danse, les battles, c’est comme un combat, chaque pas doit être soigneusement choisi et millimétré même en pleine improvisation. Si ce n’est que même en touchant les autres danseurs, il n’y a pas de violence physique directe. Dans la même logique, le combat est une chorégraphie improvisée, chaque mouvement ou pas doit être effectué au bon moment en fonction des mouvements de l’adversaire, les bleus et parfois même le sang en plus.

Son propre sang avait déjà coulé sur ce même ring. Plus d’une fois. Comme la fois où Don avait faillit lui péter le nez lors d’un de leurs entraînements, ce con. Elisa avait été distraite et avait pris le poing de Donovan en pleine face. Elle avait été sonnée et pendant quelques secondes s’était contentée de regarder le sang s’écouler sur le sol. Puis elle avait reprit ses esprits et s’était mise à lui hurler dessus comme sur du poisson pourri, l’insultant de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables et dans toutes les langues qu’elle connaissait, elle en avait même sûrement inventés des nouveaux au passage. Le pauvre n’avait même pas eu le temps d’en placer une pour lui dire quoi que ce soit. Elle avait fini par partir comme une furie en lui vociférant qu’elle aurait sa peau. En réalité, Elisa n’en avait pas voulu à Donovan. Au contraire, elle lui avait toujours dit de ne pas la ménager, même si, le connaissant il ne l’avait jamais fait. La colère qu’elle avait déversée sur lui ce jour-là était en fait complètement tournée vers elle-même. Elle s’était sentie conne de s’être laissée distraire si bêtement et la jeune femme ne tolérait pas l’erreur, surtout les siennes.

Étonnement, plus le temps passait, plus elle appréciait Don. A la fin des entraînements, c’est-à-dire quand il avait fini par faire mordre la poussière à la demoiselle, ils s’allongeaient tous les deux sur les tatamis, parfois en riant comme des baleines parce que la tension redescendait, d’autres fois silencieusement car trop pensifs ou préoccupés par quelque chose. Dans tous les cas, on pouvait presque entendre leurs cages thoraciques se soulever tant leurs respirations étaient erratiques après l’effort. Certes il ne la ménageait pas, mais elle ne le ménageait pas non plus et prenait un malin plaisir à lui donner du fil à retordre. Quand ils finissaient par se calmer, ils restaient généralement un moment comme ça sans bouger, juste à parler, de tout, de rien, des erreurs d’Elisa, de ses progrès, de la vie sur l’île, du gang, des autres gangs. Une fois qu’ils avaient fait le tour ou qu’il était trop tard pour rester davantage, chacun ayant ses occupations, ils se relevaient, échangeaient un regard, parfois même un sourire et s’en allaient chacun de leur côté. En dehors des entraînements, ils ne parlaient pas plus que ça, c’était même très rare, seul dieu savait pourquoi. Pourtant, cette amitié naissante, si c’était ainsi qu’on pouvait nommer leur étrange relation, n’entachait en rien la détermination d’Elisa, supérieur hiérarchique au sein du gang ou pas, elle finirait par le battre, par le surpasser, peu importe le temps que ça prendrait, elle y arriverait.

Elisa plissa les yeux alors que Don s’apprêtait à relancer l’assaut et verrouilla son regard noisette sur lui. Pliant davantage les genoux pour prendre de la force dans le sol, la rouquine s’élança et se propulsa vers Donovan. Arrivée à sa hauteur, elle se cambra et évita le coup qu’il allait lui mettre avant de lui en retourner un en plein dans l’estomac. Elle se rendit même compte que si elle y avait pensé, elle aurait pu frapper en plein dans le mille. Elle aurait sans doute pu le mettre à terre facilement après ça. Mais elle n’y avait pas pensé et tout en se fustigeant intérieurement, elle espérait que ce manque d’inattention ne lui coûterait pas encore une fois la victoire.

Son poing venait de s'enfoncer dans le ventre de Don. On aurait pas dit comme ça en la voyant, mais elle avait de la force la petite rousse. Parfois, certains se demandaient sûrement où elle rangeait toute cette rage, toute cette détermination, toute cette force pour un si petit bout de femme. Ils peuvent toujours se le demander, chercher, à moins de l'ouvrir ils trouveront pas. C'est pas une question de condition physique. Enfin si un peu. Mais pas que. Et celui qui croit ça a déjà perdu son combat avant même de l'avoir commencé. Elisa a appris qu'il ne fallait jamais sous-estimer son adversaire et ses adversaires faisaient souvent l'erreur de la sous-estimer elle. D'autres, comme Don avaient compris au fil du temps, des combats. Maintenant elle ne pouvait plus jouer sur cette surprise là avec lui. Il savait. La magicienne savait pertinemment que sa force physique était pas son point fort. Elle frappait bien, mais seul ça suffisait pas. Elle devait compter sur sa rapidité, sa coordination et sa souplesse. Plus encore, sa force à elle résidait dans sa tête, son cœur et ses tripes. Peur inexistante, rage qui venait du plus profond d'elle-même, surtout quand elle avait quelqu'un ou quelque chose pour qui se battre, détermination à toute épreuve. C'était ça sa vraie force.

Pourtant cette fois encore, face à Don, ce n’était pas suffisant. La rouquine avait laissé échapper un détail, un seul petit détail qui aurait pu lui apporter la victoire avec une facilité déconcertante et cela  se retournait à présent contre. En laissant passer sa chance elle avait offert la victoire à son adversaire sur un plateau d’argent. Et au moment où elle le comprit tout s’enchaîna très vite.Œil pour œil, dent pour dent.  Son souffle fut soudain coupé par l’impact du genou de Don dans le ventre. A peine le temps de reprendre une inspiration qu’elle se retrouva à terre dans un bruit sourd. Elisa eut la sensation que son entraîneur venait de l’encastrer dans le sol. Même les tatamis n’avaient pas amorti tant que ça la chute sous la force avec laquelle elle avait été provoquée. Pas le temps de se relever. Il l’en empêchait déjà de tout son poids alors que sa main qui paraissait immense en comparaison du cou de la rouquine accentuait la pression qu’il avait commencé à exercer à la seconde où il lui avait attraper la gorge.

Elisa était coincée, mais dans son obstination elle tenta tout de même de se défaire de la poigne de Don. De lui échapper d’une manière ou d’une autre. Sans succès. Pourtant elle ne voulait pas abandonner. Elle essaya encore une fois de se libérer, se débattant comme un diable avant d’arrêter lorsque Don la menaça de l’étrangler si elle n’admettait pas sa défaite. S’en suivit alors un duel de regard -lui, le regard impitoyable, victorieux, elle, le regard rempli d’une rage non contenue, dirigée vers lui, vers elle-même - tandis que la main de Don se resserrait de plus en plus autour de son cou, la privant peu à peu d’air. Elisa n’avait pas peur, elle n’avait peur de rien, pas même de la mort. Il ne la tuerait pas, il n’oserait pas, si ?  Si la rouquine était presque persuadée qu’il s’arrêterait avant de l’achever, son corps lui, faible enveloppe charnelle, continuait de lutter, de chercher l’air qu’Elisa arrivait à peine à percevoir. Elle commençait à étouffer et le doute s’immisça soudain en elle. Est-ce qu’il irait jusqu’à la tuer ? Ses pensées ainsi que sa vue se brouillèrent et instinctivement, elle attrapa la main de Don avec les siennes en murmurant d’une voix enrouée, sifflante à cause du manque d’air et à peine audible.

« C’est..c’est bon..t’as gagné..t’as gagné..Dé-dégage maintenant...Don… ?»