Le soleil commençait sa descente à l’horizon, baignant le ciel de rouge. Rouge comme le sang. Comme le sang qu’on fait couler. Qu’elle a fait couler, sans aucun regret. Rouge comme la chevelure flamboyante d’Elisa qui volait dans le vent alors qu’elle admirait le coucher de soleil. Sentir la chaleur sur sa peau diaphane était un des petits plaisirs que s’offrait la demoiselle et elle en profitait bien plus depuis qu’elle n’était plus à Paris. Si il y avait bien quelque chose qui ne lui manquait pas, c’était la grisaille quasi permanente de sa ville natale. En revanche, ce qui lui manquait bien plus, était les personnes qu’elle avait du laisser derrière elle après sa condamnation. Ses amis, ceux qu’elle considérait comme sa famille, encore plus que celle de sang. Et Dylan...Son amour. Celui pour qui elle aurait tout fait même les plus grosses conneries. La preuve. Ce n’était pas par hasard qu’elle s’était retrouvée ici. Et dire qu’elle ne le verrait plus jamais. Elle avait encore tellement de mal à le concevoir...

La jeune femme s’était posée non loin de l’entrée du hangar qui servait de QG à son nouveau gang. Elle avait trouvé un échafaudage branlant non loin et s’était perchée là haut sur une barre de fer, les pieds dans le vide, sur laquelle elle tenait sans trop de difficulté. Elisa ne traînait que rarement à l’intérieur. Fraîchement arrivée, elle ne connaissait pas grand monde et préférait se la jouer solo. Elle ne faisait confiance à personne ici. Pas encore. C’était trop tôt. Son ancienne bande d’amis, son ancien gang, son ancienne famille était encore trop présente dans son coeur et la rouquine aurait l’impression de les trahir en se liant si vite avec ces gens qui se faisaient appeler magiciens.

Elisa souffla, laissant s’échapper un nuage de fumée, et tapota sur sa cigarette pour faire chuter les cendres qui s’envolèrent avec le vent avant de s’écraser plus bas sur le sol. Fumer n’avait jamais été dans les habitudes d’Elisa. Bien sûr une clope par ci par là avec la bande, mais ça n’avait jamais été régulier. Quant à la drogue, elle avait beau dealer depuis quelques années, elle n’y avait jamais touché et s’y refusait toujours. Cependant, depuis son arrivée sur l’île, elle fumait davantage. Quand elle s’ennuyait, quand elle était triste, en colère, frustrée.

Ce soir là, c’était simplement pour accompagner le spectacle que lui offrait le soleil et aussi un peu par ennui…

Les dernières cendres de la cigarette d’Elisa s’écrasèrent sur le sol et la jeune femme soupira en éteignant le mégot qui lui brulait presque les doigts à présent. Le soleil était à présent couché et la lumière du jour laissait peu à peu place à la nuit. La rouquine fixait toujours l’horizon, perdue dans ses pensées, en balançant ses jambes dans le vide quand elle entendit quelqu’un l’interpeller. « Princesse »…

Sur le coup, la demoiselle crut rêver et tourna la tête vers la voix qui l’appelait, pleine d’espoir avant de déchanter bien vite. Dylan la surnommait souvent comme ça mais jamais il ne l’avait draguée d’une manière aussi lourde. Elisa leva les yeux au ciel et plissa légèrement les yeux pour pouvoir détailler l’homme qui la regardait d’en bas. Trop loin, la jeune femme ne pouvait faire que de simples suppositions. Toujours était-il que la rouquine allait se faire un plaisir de lui rabattre le caquet. Prenant appui sur ses jambes et se tenant à une main à l’échafaudage, Elisa déplaça son poids vers l’avant, laissant son corps pendre dangereusement au dessus du vide et parla assez fort pour se faire entendre.

« Te fatigue pas Roméo ! Je vais descendre, ça ira plus vite ! »

Joignant le geste à la parole, Elisa descendit de l’échafaudage sans aucunes difficultés, slalomant entre les barres de fer avec une souplesse qui semblait innée chez elle. Une fois à distance raisonnable du sol, la jeune femme sauta. Elle atterrit gracieusement et presque sans aucun bruit à quelques mètres du dragueur. Là, elle put le voir nettement. Grand, châtain foncé, yeux bleus, beau gosse, un peu plus vieux qu’elle. Beau parleur aussi visiblement. Et joueur. Elisa fronça les sourcils sur ses gardes, généralement ces gars là qui voulaient « s’amuser » c’était les gars à éviter. Mais soit, il voulait jouer ? Ils allaient jouer, mais le pauvre homme allait sans doute vite déchanter.

Elisa minauda un peu, elle papillonna légèrement des cils et détourna la tête d’un air innocent. Puis son regard changea et se verrouilla à celui qui avait osé l’aborder, il se fit plus perçant, plus menaçant. Rejetant sa chevelure de flamme vers l’arrière, la demoiselle avança d’une démarche féline vers le jeune homme, lui faisant comprendre silencieusement qu’elle n’avait rien d’une proie. Elle approcha, encore et encore jusqu’à se retrouver tout près de lui à tel point que leurs corps se touchaient presque. Elle lui murmura alors à l’oreille d’une voix à la fois suave et provocatrice.

« Ah ouais ? Alors ? Qu’est-ce que tu proposes ? »

« Juliette »… La rouquine avait sourit intérieurement en ayant entendu l’homme qu’elle avait appelé Roméo de façon totalement ironique lui donner à son tour le surnom de Juliette. Comme si elle était liée à lui, comme si elle était sienne. Si c’était ce qu’il croyait, ô comme il se trompait. Elisa De Costemore était sans garde fou, elle n’appartenait à personne. Il y a encore un mois, si. La jeune femme à la chevelure de flammes aurait pu concéder qu’elle appartenait à quelqu’un. A la seule personne qui l’aie jamais possédée dans tous les sens du terme. Dylan. Il avait été le premier et le seul jusqu’à présent. Le seul à qui elle s’était donnée cœur, corps et âme. Et elle n’avait pas dans l’idée de recommencer, même en sachant qu’elle ne reverrait plus jamais celui qui l’avait tant fait chavirer.

Le seul point commun qu’Elisa avait avec Juliette était qu’elle était tombée amoureuse d’une personne qui n’avait rien à voir avec elle, avec qui elle n’aurait jamais du être. Leurs 10 ans d’écart, leurs milieux sociaux d’origine – bien que la demoiselle était plus devenue une enfant de la rue au fil des années – et leurs caractères si différents mais tellement complémentaires. Ils étaient parfaits ensemble. Lui, avait pris les rennes de la bande quand Aurélie était partie et il avait fait de la cadette De Costemore, son bras droit, sa reine de cœur.

La séparation était encore fraîche et douloureuse dans l’esprit de la jeune femme. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’évertuait à ne pas y penser, essayant d’oublier tout ça. Mais comment ? Une partie d’elle voulait s’accrocher à l’espoir qu’elle le reverrait un jour, que tout redeviendrait comme avant. Mais Elisa avait beaucoup perdu de son côté rêveur avec le temps et était maintenant beaucoup plus terre à terre. Elle savait pertinemment que son idylle avec Dylan s’était brisée sous le marteau de la justice et qu’il serait impossible de recoller les morceaux.

Chassant ses sombres pensées, Elisa reporta son attention sur l’instant présent, ce n’était pas le moment de baisser sa garde. Surtout pas face à un inconnu tel que celui qu’elle avait devant elle. La rouquine devait admettre qu’il avait une belle gueule et pas qu’une belle gueule d’ailleurs. Il était bien gaulé de partout et malgré son arrogance que la demoiselle ne pouvait qu’imaginer, il avait beaucoup de charme avec son tic de passer régulièrement la main dans ses cheveux, ses clins d’œils furtifs, son sourire enjôleur et son regard qui ne laissait pas le moindre doute sur ce qu’il voulait. D’autant plus qu’il confirma ce qu’elle pensait en lui disant qu’il avait pas mal d’idées en tête et que la plupart d’entre elles impliquaient qu’ils soient nus.

Si Elisa n’avait pas été encore tant marquée par sa séparation avec Dylan, si le temps était passé et si le jeune homme n’avait pas été un parfait inconnu. Alors oui, peut-être aurait-elle succombé à la tentation. Peut-être qu’elle aurait goûter aux plaisirs de la chair avec lui. Mais ce n’était pas le cas. Elle n’avait toujours que Dylan dans ses pensées. Et elle n’avait absolument aucune confiance en l’autre dragueur, qui se permettait déjà de poser ses pattes sur elle alors qu’elle ne lui avait nullement donné son accord.

En effet le jeune homme venait de passer sa main chaude dans le creux des reins d’Elisa. Oh non chéri, quelle grave erreur il venait de faire. Penser pouvoir s’approprier la belle comme ça sans autre forme de procès. Le pauvre ne savait définitivement pas sur qui il était tombé. A son contact, Elisa se crispa et toute lueur de jeu disparut de son regard qui se fit glacial. Elle attrapa alors le poignet de Roméo, qu’elle commença à tordre d’une poigne ferme en l’éloignant de l’endroit où sa main était précédemment posée. La rouquine plia les genoux pour prendre appui dans le sol et être plus solide et regarda l’homme aux cheveux châtains droit dans les yeux. Elle enfonça lentement ses ongles dans sa peau et lui murmura en sifflant sous la colère qui grandissait en elle.

« Je ne crois pas t’avoir dis oui. Je te conseille vivement d’en rester là. Le dernier homme qui a posé ses mains sur moi sans mon consentement comme tu viens de le faire, il est mort. Réfléchis bien à ce que tu vas faire maintenant. »

Le voir grimacer aurait été presque été un plaisir pour Elisa si elle n’avait pas été aussi en colère. Ses ongles s'enfoncèrent un peu plus dans la peau du petit con qu’elle tenait. Elle allait lui faire passer l’envie de la toucher. Pour qui se prenait-il ?

Les choses auraient pu s’arrêter là. Elle lui aurait fait un peu mal, il aurait lâché l’affaire et Elisa l’aurait simplement laissé partir. Sauf que non, il a fallu qu’il ouvre sa grande gueule pour remettre en cause la légitimité de la réaction de la rouquine. Allant même jusqu’à lui dire qu’elle se mentait à elle-même. La jeune femme serra les dents avant de se mettre à rire. Un rire nerveux. Il se foutait de sa gueule hein ? C’était pas possible autrement ?

La colère qui grondait déjà en elle monta encore d’un cran. Elisa pouvait sentir son sang bouillir dans ses veines et l’adrénaline monter. Ce qui était tout sauf bon pour le pauvre gars qu’elle tenait. Enfin, pauvre gars. Tout était relatif, vu son comportement.

Elisa plissa les yeux, ses yeux qui devait refléter tout le mépris et la rage que l’autre crétin lui inspirait. Sans le lâcher, elle approcha alors son visage du sien pour lui murmurer quelques mots d’une voix tranchante, menaçante.

“Ar-rête de m’appeler Juliette ! Je ne suis la Juliette de personne et certainement pas la tienne. J’ai pas besoin d’un Roméo, je m’en sors très bien toute seule.”

La rouquine était comme ça et davantage encore depuis son arrivée sur l’île. Elle n’avait besoin de personne et surtout pas d’un gars. Le seul dont elle aurait pu avoir besoin était de l’autre côté de l’océan, derrière les barreaux. Elisa était donc seule et c’était bien comme ça. Chassant Dylan de ses pensées pour ne pas être déstabilisée, Elisa reprit un peu de distance par rapport à l’homme qu’elle retenait par le bras, lui crachant presque au visage lorsqu’elle reprit la parole.

“Si je suis descendue de mon perchoir c’était simplement pour le plaisir de venir te faire fermer ta gueule de petit péteux, ok ? Parce que les gars comme toi qui croient que tout et tout le monde leur appartient, je les connais et je les aime pas. Et si y’a une personne ici qui se ment à elle-même, je t’assure que c’est pas moi. Tu crois que toutes les nanas sont sous ton charme et qu’aucune d’elle ne peut te résister, c’est ça ? Typique des gamins dans ton genre ! Et bien détrompe toi. Parce que ta Juliette, mon petit coco, tu peux toujours courir pour l’avoir.”

Utilisant l’appui qu’elle avait dans le sol, Elisa repoussa l’arrogant vers l’arrière avec force, le lâchant au passage. Elle se frotta les mains, comme si elle venait de se débarrasser d’un parasite en le regardant, espérant pour tout le monde qu’il en resterait là.

Souffle court à cause de la colère, la jeune femme s’éloigna, prévoyant de remonter sur son perchoir. Le spectacle était terminé, elle avait fait comprendre à l’autre crétin qu’elle n’était pas intéressée tout en le remettant un bon coup à sa place. Ca leur faisait toujours du bien à ces gars-là. Cependant la rouquine savait que se calmer lui prendrait du temps. La De Costemore montait vite dans les tours quand elle s’énervait surtout quand c’était une colère sourde comme celle-là. Elle serra les dents en repensant au sourire que l’autre avait arboré pendant la quasi-totalité de leur échange, comme si ça le faisait rire voire lui faisait plaisir d’entendre Elisa le rabaisser comme elle l’avait fait. Idiot. Petit merdeux. Connard.

La magicienne passa une main dans ses cheveux pour les remettre un peu en place et soupira longuement alors qu’elle s’approchait de l’échafaudage. Elle s’apprêtait à y remonter lorsqu’elle sentit son corps être écrasé contre les barres de fer rendant son ascension impossible. Tournant la tête, Elisa vit alors de qui il s’agissait. Putain. L’appréhension s’empara un court instant de la danseuse. Elle était piégée...et cette fois, elle était seule. Il n’y avait ni sa bande d’amis, ni Dylan pour intervenir si ça tournait mal et il n’y avait pas de dague cachée dans sa jarretière. Il n’y avait d’ailleurs même plus de jarretière. Un détail interpella cependant la rouquine. Certes elle n’avait pas d’arme blanche pour se défendre, mais aux dernières nouvelles Roméo - puisqu’elle ne connaissait pas son vrai nom- n’était pas armé non plus. Ils étaient donc à égalité, enfin presque. Le jeune homme était peut-être plus fort comme Elisa pouvait le sentir, mais elle était sans doute plus souple et plus rapide.

La voix de son agresseur résonna à son oreille, basse, grave, insidieuse. Il lui demandait le respect. D’être une “gentille demoiselle”. N’avait-il pas encore compris à qui il avait affaire ? Elisa essaya de s’extirper de dessous l’homme qui la maintenait avec son poids, sans grand succès. Plus que la colère, c’était non pas la peur qui s’immiscait lentement dans les veines de la jeune femme mais la rage. Une rage qu’Elisa ne chercha même pas à contenir cette fois, sifflant à l’attention du connard de Roméo comme si elle allait le tuer.

“Te respecter ? Toi ? Dans tes rêves connard ! Tu te permets des choses sur les autres sans même prendre en considération leur avis et tu veux que je te respecte ? Et tu vas jusqu’où comme ça sans respecter l’autre ?”

Un rire nerveux secoua la rouquine. Elle n’avait même pas envie qu’il lui réponde. Elle reprit la parole avant qu’il ne le fasse, feulant presque.

“Si tu cherches une gentille fille docile, t’es vraiment pas au bon endroit. J’ai rien d’une “gentille demoiselle”.”

Elle essaya une nouvelle fois de s’extraire de la situation dans laquelle elle se trouvait et tapa du poing contre la structure, élevant cette fois la voix, se fichant que quelqu’un l’entende.

“Lâche moi ! Dégage tes sales pattes putain ! Je te le redirais pas deux fois !”