Elle lui a envoyé une missive simple : “Yo Nestor, viens voir ta vieille soeur, frère ingrat !”. Elle a besoin de le voir, de vérifier qu’il va bien. D’après ce que lui a dit Ana, il va bien. Mais Gaia a besoin de le voir de ses propres yeux. Ça fait une semaine qu’ils se sont pas vus, et c’est trop long pour elle. Après ne pas l’avoir vu pendant neuf ans, elle a besoin de l’avoir régulièrement à ses côtés. Si elle pouvait avoir la possibilité de l’avoir tout le temps à ses côtés, ce serait encore mieux. Mais c’est pas possible. Parce que ça élèverait des soupçons probablement. Ceux de Léandre déjà. Puis Gaia doit se faire à l’idée qu’il n’est plus le gamin de sept ans qu’elle a laissé en Amérique. Il a grandit. C’est un adolescent de seize ans maintenant. Et ça la tue de savoir qu’elle a loupé toutes ses années avec lui, qu’elle a pas pu le voir grandir. Ça la fait vriller quand elle se rend compte que Monsieur et Madame Frost devaient être ravis de la voir s’en aller et qu’elle les laisse tranquille pour qu’ils puissent élever son fils tranquillement, sans elle. Elle a pas vu grandir Léandre mais elle doit avouer, malgré la déception, colère, haine, qu’elle ressent envers ses parents, ils ont fait du bon boulot. Léandre a l’air d’un garçon bien éduqué. Outre le fait qu’il est arrivé sur l’île. Et qu’elle arrive toujours pas à savoir pourquoi. Il lui a dit qu’il avait cassé la gueule à un type, mais quand elle lui a demandé pourquoi, il a pas voulu répondre. Quelque chose lui dit que c’est pas vrai. Qu’il s’est passé autre chose. Mais elle veut pas le pousser trop. Elle veut pas le faire fuir. Puis elle est pas censée s’y intéresser autant. Après tout, elle n’est que sa soeur. Pourquoi est-ce qu’elle s’intéresserait autant à lui, en tant que soeur ? Surtout en tant que cette soeur rebelle qui passait ses soirées dehors à taguer les murs. Oui, elle doit le laisser respirer. Puis s’il le sent, un jour, il lui dira la vérité. Elle doit juste attendre calmement que ça arrive. En espérant que ce soit pas trop grave. Elle doute qu’il ait pu violer ou tuer quelqu’un de toute façon. Ça a vraiment pas l’air d’être son genre.
Elle attend calmement, assise sur une chaise. Chez elle, c’est plus un atelier de peinture qu’un appartement où dormir. Elle a un matelas mais actuellement, y’a cinq toiles en train de sécher dessus. C’est pas comme si elle l’utilisait son lit. Elle dort chez Shiloh la plupart des nuits. Et les nuits où c’est pas le cas, elle s’arrange pour que ses toiles sèchent autre part. Mais c’est rare. Souvent c’est qu’ils se sont disputés la veille ou le jour même et le lendemain, ça se règle. C’est toujours comme ça. Plusieurs de ses toiles sont de lui, d’ailleurs. Ses traits de californien, et ses yeux qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux de son fils. Leur fils. Elle en a fait quelques unes de Léandre aussi, évidemment. Et ça la fait sourire automatiquement lorsqu’elle les regarde. Puis y’a ce petit dessin qu’elle a planqué sous le matelas. Une peinture format photo de Léandre, Shiloh et elle, ressemblant à une photo de famille. Ce qu’aurait pu être une photo de famille si on les avait laissé en être une dès le début. Elle la cache pour pas que Léandre tombe dessus par accident. Ce serait étrange à expliquer. Puis elle se sentirait mal de lui mentir alors que cette peinture signifie tant pour elle. Elle est en train de peindre un tableau tiré d’un souvenir d’il y a quelques jours lorsque la porte s’ouvre. Elle se retourne et sourit en voyant Léandre entrer dans sa très très modeste demeure. “Yo Nestor.” Ça la fait toujours sourire de l’appeler comme ça. Elle regarde la peinture quelques secondes, et voit que les cheveux blonds de la fille sont déjà bien représentés. Y’a quelques jours, elle a vu Léandre et elle ensemble. C’est ça qu’elle est en train de peindre. C’est étrange, de le voir tomber sous le charme de quelqu’un. Cette fille a l’air d’être une fille bien. Alors elle est heureuse. Mais elle veut en savoir plus. Elle veut en savoir tellement plus. Puis elle pourra toujours prétendre que c’est la curiosité de la soeur qui se veut moqueuse qui parle. Pas celle de la mère qui est curieuse des premiers amours de son fils.

Icare se souvenait parfaitement bien de sa première journée de lycée. Lorsque ses professeurs avaient pour la première fois l'appel, leurs regards à la fois dégoûtés et effrayés en lisant son nom de famille. Frost. Mot visiblement maudit pour ceux dont la tâche était d'enseigner, puisqu'ils n'avaient pas réussi à contenir la bombe sur patte qu'avait pu être sa grande soeur Gaia. Depuis que son proviseur lui avait expliqué la situation, il s'était efforcé de redorer le blason de sa famille, de montrer que non, ils n'étaient pas tous de petites terreurs qui désobéissaient sans cesse. Que sa soeur avait simplement été un cas. C'est pour cela que les premiers mois furent difficiles mais le jeune homme avait réussi à garder la tête haute et à travailler dur pour gagner le respect à la fois du personnel enseignant et des élèves. Mais jamais il n'oublierait à quel point il avait dû réparer les erreurs de son aînée. Il lui en avait voulu. Enormément. Pendant longtemps. Car le Héros n'avait à ce moment là plus beaucoup de souvenirs avec sa soeur. Quelques brides étaient restés. Lorsque cette dernière l'avait pour la première fois surnommé "Nestor" -surnom qu'il haïssait au passage-, le jour où elle avait sauvé  son ballon de football du jardin effrayant du vieux voisin ou quand elle s'était portée responsable pour un verre qu'il avait malencontreusement brisé. C'était à peu près les seules choses, en plus des photos de famille, que le garçon avait pour souvenir. Alors, lorsqu'il l'avait retrouvé ici, les retrouvailles furent à la fois douces et amères. Car il avait réussi à passer outre son absence. Il avait vécu plus de temps sans qu'avec elle. Il s'était construit, avait grandi, s'était fait des amis, un premier amour ... Icare n'était plus le même qu'à ses 7 ans, jeune construit grâce aux tragédies de sa vie, la mort de leur mère fut la première chose qui l'avait métamorphosé.

Se frayant un chemin dans le centre, missive reçue le matin même à la main, il avait fait son maximum pour cacher les nombreuses blessures sur son corps, résultat navrant de ses entraînements. Il ne voulait pas l'inquiéter plus que nécessaire. Et de toute façon, Anastasia lui en aurait fait part de toute manière. La Chimère se recoiffa une ultime fois dans une vitre puis toqua à la porte avant de rentrer, léger sourire aux lèvres. La demeure de sa chère soeur était, d'une certaine façon, assez chaleureuse. Icare adorait regarder ses peintures et l'observer peindre. La plupart du temps, lorsqu'il passait, il s'asseyait dans un coin en silence pour simplement la regarder faire naître son art sur les toiles. "Coucou Gaia." Il s'approcha rapidement puis vint l'enlacer doucement en posant sa tête sur l'une de ses épaules. C'était rassurant et, quelque part, réconfortant d'être là avec elle, malgré tout. Après quelques douces secondes échangées, il se détacha pour observer l'oeuvre du jour. Une fillette blonde. Oh. C'est joli. La plupart des traits du visage étaient manquants donc pour l'instant, il ne reconnut pas le modèle. "Désolé de pas être venu plus tôt, je passe la plupart de mon temps dans des entraînements difficiles et quand je fais pas ça je dois patrouiller ... Quand je rentre je suis claqué. Désolé grande soeur. J'essaierai de passer un peu plus souvent." Il s'adossa contre un mur puis soupira en sentant ses muscles lui tirer. Il avait mal mais le cachait. Les super-héros ne montraient jamais leurs faiblesses pour rassurer ceux pour qui ils comptaient, pas vrai ? "Tu peins quoi de beau ? J'aime bien la tête blonde de la fille. Elle est jolie je trouve." Pensée s'envolant vers une autre blonde, ses yeux bleus s'imprimèrent momentanément dans son esprit si bien qu'un léger sourire rêveur se dessina sur ses lippes. Il était content de penser à elle.

Le soucis avec le fait de l’avoir sur l’île, c’est qu’elle le voit tous les jours, sans la pression des parents, et qu’à cause de sa peur constante de le perdre pour toujours, elle doit continuer à agir comme si elle n’était que sa grande soeur. Aujourd’hui, elle n’a plus de pression extérieure, mais la pression elle se la met toute seule. Elle sait que Shiloh voudrait lui dire la vérité. Elle sait aussi qu’il a probablement raison. Puis l’île reste un bout de pierre entouré d’eau dont Léandre ne peut pas s’enfuir, elle pourra toujours le forcer à lui reparler, et essayer de faire en sorte qu’il lui pardonne toutes ces années de mensonges. Même si, en réalité, le mensonge ne venait pas d’elle. Si ça n’avait tenu qu’à elle, Léandre aurait su la vérité dés sa naissance et Shiloh et elle l’auraient élevé tous les deux. Dans le meilleur des cas, avec l’aide des grands-parents. Mais s’ils avaient pas souhaité aider, ils l’auraient pas fait. Point. Gaia sait qu’elle aurait pu. Elle aurait eu la maturité pour. Elle aurait pu l’élever. Alors oui, ils auraient probablement vécu dans une précarité certaine, mais au moins, ils auraient vécu tous les trois. Comme la famille qu’ils auraient toujours dû être. Et Gaia regrette ça, bien sûr. Mais aujourd’hui, c’est trop tard pour eux trois. Il la considère comme sa soeur, considère Shiloh comme une vague connaissance aussi loin qu’elle est concernée et de ce qu’elle sait, et c’est tout. Lui avouer la vérité aujourd’hui et espérer que tout devienne comme ça a toujours censé être, c’est utopiste. Impossible. Shiloh a l’air de croire que ça l’est et que c’est la meilleure des solutions Et c’est la raison principale des disputes qu’ils ont en ce moment. Gaia peut pas vraiment lui en vouloir. Il a pas cette chance d’être proche de lui comme elle, elle l’est. Mais ça veut aussi dire qu’il a tout à gagner et rien à perdre, au contraire d’elle. Elle comprend sa situation et ça l’énerve de se disputer avec lui à cause de ça. C’est juste. Il peut pas lui dire. Ils peuvent pas lui dire la vérité. Surtout qu’ils parlent aussi, de ce qu’il se passera dans un an. Dans un an quand Gaia et lui auront trente ans et qu’ils devront partir, s’en aller pour retourner en Amérique, et laisser leur fils là, seul, se débrouiller avec les jeunes de l’île, les délinquants. Merde, il a rien à faire là, Léandre. Il a pas sa place ici.
Elle lui sourit lorsqu’elle le voit. Elle pourrait sourire au monde entier si seulement Léandre était aux alentours, sain et sauf, bien portant. En sécurité, et à ses côtés. Sa vie ne serait que sourire. Shiloh devrait être là aussi, sinon elle aurait des moments de réelle tristesse. C’est sûr. Mais c’est évident que la présence de Léandre à ses côtés, c’est son baume de bonheur. C’est son fils. Elle l’aime. Plus que tout. C’est d’une simplicité et d’une banalité. Aussi évidente que le fait que la terre ne soit pas plate. Et qu’elle tourne autour du soleil. Il lui dit coucou et il s’approche d’elle, en venant l’enlacer pour poser sa tête sur son épaule. Et le sourire de Gaia se fait plus doux. Qu’il vienne vers elle, s’il a besoin qu’elle le prenne dans ses bras. Elle sera ravie de lui donner ce pour quoi il est venu. À cause de ses parents, elle a jamais pu être trop physiquement proche de son fils. Et quand elle l’était, c’est que ses parents étaient pas aux alentours. Sur l’île, c’est différent. Elle pourrait rattraper tout le temps perdu, mais ça reviendrait à être à ses côtés H24, sept jours sur sept, et Gaia doute pas une seule seconde que Léandre trouverait ça lourd. Lorsqu’il s’excuse de pas passer plus souvent, Gaia a envie de lui dire que c’est pas grave, qu’il a pas à s’inquiéter. Et lorsqu’il l’appelle grande soeur, le coeur de Gaia tombe au fond de son estomac, comme il le fait tout le temps lorsqu’elle a un rappel du fait qu’elle est sa mère oui, mais qu’il ne se sent absolument pas fils face à elle. Il lui dit qu’il essayera de passer plus souvent, et Gaia elle essaye de sourire, mais c’est un peu plus compliqué, si peu de temps après avoir entendu les mots “grande soeur” sortir de la bouche de Léandre. Ça fait 16 ans. Mais ça lui fait toujours aussi mal.
Il se remet à parler et ça la fait sourire, Gaia. Un sourire qui ressemblerait d’ailleurs plus à celui d’une soeur qui se prépare à se moquer qu’à celui d’une mère. L’un n’empêche pas l’autre. Elle peut être une mère qui aime embêter son fils. Puis c’est une habitude, aujourd’hui. Elle se tourne vers lui avec ce large sourire moqueur, celui qui annonce qu’elle s’apprête à dire une connerie. “Oui. Je sais que tu la trouves jolie.” Elle se retourne vers sa peinture et prend un crayon. Celui qu’elle utilise pour faire les traits de base. Elle dessine, rapidement, et se retourne vers son fils une fois le dessin terminé. Sur la toile, les cheveux blonds et les traits au crayon à papier de la jeune fille avec qui elle voit Léandre trainer ces derniers temps. Elle est prête à se moquer, ou à l’écouter, ou à le réconforter.
Quoique ce soit dont Léandre ait besoin, dans cette discussion à propos de cette fille, elle est prête à lui donner.
Parce qu’elle serait prête à tout lui donner.
C’est normal.

Elle lui avait manqué, bien plus qu'Icare ne souhaitait l'admettre. Certes, ils ne s'étaient pas connus très longtemps, seules certaines brides de souvenirs ensemble résidaient dans son esprit, il avait grandi sans elle, néanmoins elle restait de son sang. Quelqu'un de proche de lui, très différente mentalement mais tout de même. Le jeune avait pu compter sur sa grande soeur durant les quelques années où ils avaient habité sous le même toit et s'en souviendra surement à jamais. Gaia avait peut-être été absente de sa vie, mais pas de son coeur. Icare lui avait gardé une belle place bien au chaud et comptait profiter de leur unique année ensemble pour rattraper le temps perdu et qu'ils allaient perdre une fois ses 31 ans atteint. Alors oui, il allait certainement passer un peu plus souvent. Au moins pour apprendre à la connaître et mieux la cerner. Pour garder plus qu'un simple souvenir flou d'elle dans son esprit.

Lorsque Gaia appuya sur le fait qu'elle savait très bien qu'il la trouvait jolie, l'esprit du garçon tiqua. Il la connaissait assez pour savoir que toute cette mise en scène allait mener à quelque chose, que sa soeur avait fait en sorte d'attirer son attention sur ladite peinture pour finir par lui faire avouer un truc. Et évidemment, de quelle belle blonde allait-il devoir parler. "T'es pas sérieuse ..." Si, elle l'était. Coup de crayon après coup de crayon, les traits si doux, si beaux, si angélique de la demoiselle venaient de naître sur la toile. Faith. Les yeux du jeune homme se plantèrent dans ceux de l'adulte qui prenait visiblement plaisir à le tourmenter de la sorte. Il croisa alors les bras pour bouder avant de détourner le regard vers l'une des fenêtres. "Tu nous espionnais ou quoi ? C'est pas sympa, Gaia ..." Rapidement, la Chimère se remit à regarder plus en détail la peinture. L'oeuvre était très bien faite, le modèle parfait ... Ouais, c'était vraiment super à regarder. "Quand je dis qu'elle était jolie, je parlais de la peinture, pas de ... Pas de Faith ..." Mensonge évident, ses joues étaient devenues rouges. Incertain du sentiment à ressentir, quelque chose entre la honte, la peur et la colère, il resta de marbre avant de soupirer et s'asseoir sur le sol. "Tu vas t'moquer en plus ..." Dit-il, le ton implorant. Ensemble, ils avaient recommencé et fait une croix sur le passé pour mieux recommencer. Icare espérait, grandement, que quelque chose puisse se développer au fil du temps entre eux mais ne savait pas réellement comment faire, ni quoi faire. Il s'aventurait petit à petit en terrain inconnu et avait un peu peur de tout refaire foirer, une seconde fois. Peut-être que c'était pour ça que sa soeur l'avait mit au pied du mur pour lui dire, d'une façon très théâtrale et un peu exagérée, qu'elle était là pour l'aider si jamais il avait un quelconque soucis. Hmm. Possible.

Il fit un pas, puis un second vers la peinture pour l'observer de plus près. "Elle ... Elle était dans mon école. On était en classe ensemble. J'ai toujours eu un petit faible pour elle. Mais ça veut pas dire que je suis amoureux hein ! Va pas dire des bêtises aux gens ..." Toujours les bras croisés, il s'assit sur les cuisses de Gaia, sans la regarder. Le Héros ne savait d'ailleurs pas si sa propre soeur avait déjà eu une relation amoureuse. A son âge -et vu son caractère-, il n'en doutait pas. Néanmoins, si elle souhaitait espérer pouvoir possiblement l'aider, elle allait devoir répondre d'abord à ses questions. "T'es déjà tombée amoureuse toi, au moins ? Pour me chambrer pour ça je suppose que oui mais bon ..."

C’est sa mère, c’est son rôle. C’est un besoin. De tout  lui donner, tout ce dont il a besoin. Puis, elle a pas pu le faire durant toutes ses années où ils étaient séparés tous les deux. Où ils ont pas pu être ensemble, parce qu’elle sur l’île et lui, non. Et les années avant ça aussi, c’était différent. Parce qu’après une autre figure maternelle, c’est pas vers elle qu’il se tournait pour ce genre de trucs. Puis, à l’époque, il était clairement trop jeune pour “ce genre de trucs”. Quand Gaia est partie sur l’île Léandre était encore qu’un enfant. Elle est heureuse de pouvoir être celle vers qui il se tourne aujourd’hui, pour ce genre de discussions. Même s’il ne l’a pas vraiment fait de lui-même et qu’elle pousse clairement la discussion. Malgré ça. Malgré le fait qu’en tant que mère, c’est son rôle de lui donner tout ce dont il a besoin, elle peut pas s’empêcher d’avoir envie de se moquer, plus que toutes les autres choses. Elle sait pas réellement si c’est son comportement habituel qu’est comme ça, et qu’elle aurait été comme ça même si on l’avait laissé être mère dès le début, ou si c’est le rôle de la grande soeur qui est trop attaché à son comportement, et qui prend le dessus sur ses envies. Mais elle aurait tendance à aller vers la première idée. Simplement parce que Gaia ne s’est jamais, ô grand jamais, considérée comme sa grande soeur, à Léandre. Elle a toujours su qu’elle était sa mère, et a toujours agit avec lui comme une mère aurait pu agir avec lui. Sauf quand sa mère a elle, qui se refusait grand mère, était aux alentours, vérifiant qu’elle faisait tout sauf agir comme une mère. Il réagit  avant même qu’elle ait fini de dessiner. Et elle remarque qu’il semble très bien savoir de qui elle veut parler. Et si c’est si évident pour lui, c’est qu’elle doit avoir visé juste. Cette fille, c’est pas n’importe qui. Cette fille, elle lui plaît, c’est évident. Et Gaia est bien pressée d’entendre leur histoire et de la suivre de près. Pas de trop près, parce qu’elle refuse d’être de ces mamans lourdes qui laissent pas leur enfant avoir de vie privée, mais d’assez près pour prendre le pop corn et profiter du bonheur rayonnant de son fils alors qu’il vit ce que Gaia suppose être probablement un de ces premiers amours ? Probablement. Après tout, comment elle pourrait le savoir. Et c’est les petits trucs comme ça qui rendent sa vie détestable, parfois. C’est son fils, et elle sait quasiment rien de ce qu’il a vécu ces dernières années. Parce qu’après  tout, pourquoi est-ce qu’il irait parler à sa “soeur” de ses relations amoureuses passées ? Elle hausse les épaules lorsqu’il l’accuse de les avoir espionner. Elle les a pas espionner, per se. Elle passait par là, elle les a vu, et elle n’a pas cherché à trouver autre chose à faire, c’est différent. Il a les bras croisé, et il fait style de bouder. Et Gaia peut pas s’empêcher de sourire, et d’être soulagé. Son Léandre n’est pas encore un adulte, loin de là. Elle a encore la possibilité d’avoir un réel rôle sur l’homme qu’il va devenir. En tant que soeur, s’il le faut. Ou en tant que mère, si Shiloh est incapable de tenir le secret. Mais elle peut. Il est pas encore totalement fini. Sans méchanceté. C’est juste encore un gamin.
Il s’approche de la toile et Gaia se décale un peu pour le  laisser regarder. C’est évident qu’il apprécie observer la peinture. Et Gaia pense évidemment que c’est pas la peinture en  elle-même qui l’intéresse, et bien plus ce qui y est dessiné. Lorsqu’il parle pour se défendre exactement de ça, Gaia peut pas s’empêcher de rire, assez franchement, de manière moqueuse et amusée. Et attendrie. Surtout très attendrie. Faith. Elle s’appelle Faith, alors. Il s’assoit à même le sol, et Gaia hausse un sourcil. Il devrait s'asseoir sur son lit. Enfin sur. Ce truc, qui pourrait possiblement. Ah. Les toiles. Ouais, le sol est une solution logique du coup. Il lui dit qu’elle va se moquer, et elle se force à stopper son rire immédiatement. Mais de cette manière où c’est difficile de contenir le fait qu’elle vient de rire, laissant s’échapper deux ou trois petits rires qui demandent bien trop à s’exprimer.
Il finit par s’approcher d’elle, et de la peinture, et lui expliquer un peu le background de cette histoire d’amour. Ils étaient à l’école ensemble. Ah bon ? Gaia ne se souvient pas d’elle. Mais c’était peut-être après qu’elle soit partie sur l’île. Et si c’était avant, c’était peut-être à cette époque où elle jouait la rebelle juste pour le plaisir de faire chier sa mère. Il parle de crush et pas d’amour. Gaia comprend ça. Même si avec Shiloh, elle a l’impression que c’est jamais vraiment passé par la case crush. Léandre s’assoit sur ses cuisses, et Gaia le laisse faire. C’est plus que naturel. Même si c’est rare, même si elle est clairement pas habituée, elle risque pas de laisser passer la chance d’un contact comme ça avec son fils. Et il lui pose une question qui la fait sourire. Rire un peu. D’amour. “Bien sûr que oui. Mais j’ai aimé qu’une fois, qu’un garçon. Le même depuis que je l’ai rencontré. À l’école aussi. Et depuis, jusqu’à l’île. Il est ici aussi, tu sais ? Et on s’aime, depuis plus de dix ans maintenant. Plus de quinze. En fait, on s’aime depuis avant même que tu naisses.” Bien sûr. Et oh, j’ai oublié de te dire. T’es né de cet amour, Léandre. Toi. T’es le fruit de cet amour. Elle lui dit pas, elle sourit, juste. Face à la peinture. Et une idée, une question, dans son esprit. Et si demain, Faith tombait enceinte de Léandre, comment elle réagirait, Gaia ?

Regard perdu sur cette peinture, esprit ailleurs, dans un monde parallèle, à imaginer des choses qui ne seraient surement jamais réelles. Les traits fins et délicats de cette demoiselle hantait ses rêves depuis si longtemps maintenant, définir cette attirance par le simple mot 'crush' avait été un euphémisme de la part du jeune garçon, pour ne pas se faire moquer d'avantage par son aînée. Mais c'était bien plus que ça, bien plus fort. Pourquoi cela aurait duré autant de temps alors, malgré la monstruosité qu'avait fait sa bien-aimée ? C'était la seule réponse. Son coeur l'avait choisi, impossible de s'en débarrasser en un claquement de doigt, ça fonctionnait pas comme ça. Hélas. Mais il n'était pas malheureux pour autant, le jeune. Non. C'était agréable de parfois rêvasser de cette tignasse blonde et ces yeux dans lesquels il voudrait se perdre pour une éternité, peut-être deux. Si seulement il le pouvait. Ce n'était pas pour rien qu'il avait demandé -presque imploré, à sa façon- de faire comme si le passé n'existait plus. C'était pour peut-être avoir le courage d'enfin lui demander de l'accompagner danser. Retour subit à la réalité, lorsque sa question déclenche un rire chez sa soeur. Il ne comprenait guère et se contenta de lever les yeux au ciel. Il n'aimait qu'elle se moque de lui. Pas du tout même. Voilà l'une des raisons pour lesquelles il défendait ceux moqués, aussi.

Gaia expliqua alors que oui, elle était effectivement tombée amoureuse il y a longtemps d'un garçon et qu'ils étaient toujours ensemble après tout ce temps. La surprise fut surtout d'apprendre que lui aussi était sur cette île infernale. Le jeune haussa un sourcil tout en restant silencieux, faisant rapidement le calcul dans sa tête. Il n'était plus vraiment au courant de l'âge exact de sa soeur, mais si leur amour remontait à avant ça naissance, ça devait donc faire plus de seize ans. Wow. Surpris par cette révélation, Icare dit simplement. "Ah." Son esprit remuait toutes les informations acquises au fil des années. Gaia était ici après une bagarre qui avait mal tourné ... Est-ce que c'était son copain qui l'avait emmené dans cette histoire jusqu'à finir sur ce trou perdu au beau milieu de l'océan ? Etait-ce de sa faute si sa grande soeur n'avait pas été présente pour lui durant la majeure partie de sa vie ? "C'est à cause de lui que t'es là, alors ?" Demanda-t-il de manière direct, sur relevant sur ses deux pattes pour la confronter du regard. "De tout ce que Papa, Maman et mes profs m'avaient dit sur toi, que t'étais une rebelle insupportable voir pire, j'm'étais fait comme idée que t'étais plus du genre à enchaîner les copains et pas à justement rester exclusive." Moment de silence, moment de remise en question pour le héros qui ne savait plus réellement ce qu'il savait ou non de sa soeur. Car oui, malgré le fait qu'il avait continué de l'aimer, cela ne voulait pas dire qu'il l'avait porté haut dans son estime. Au contraire. Elle était longtemps restée très basse. Tout ce temps gâché à essayer de redorer le blason de son nom face aux enseignants, à l'école, à la police, la mairie, n'importe qui lui avait donné un goût amer. Personne ne lui avait jamais rien dit de bien sur Gaia, elle était devenue une paria dans sa propre ville, on lui avait fait des remarques incessantes sur les liens qui les unissaient, comme quoi lui aussi aller mal tourner. Et quelque part, ils avaient eu raison. Lui aussi avait mal tourné.

"Pourquoi t'étais comme ça d'ailleurs ? J'comprends pas. Pourquoi t'étais pas gentille avec nos parents, avec les profs, avec le monde ? Ils t'ont rien fait à ce que je sache ..." Dernier silence, regard baissé. "J'aurai voulu que tu sois présente pour moi, pour sécher mes larmes, lors de l'enterrement de Maman ..." Vérité larguée, la douleur de la solitude et de l'abandon -car il l'avait ressenti comme tel- l'avait blessé comme rien ne l'avait jamais fait.

Elle sait que sur l’île, ce n’est pas possible. Toutes les femmes sur l’île ont été implantés avec quelque chose pour les empêcher de tomber enceintes. Mais juste pour l’intérêt qu’elle y porte, Gaia essaye de réfléchir à comment elle réfléchirait si Faith tombait enceinte. De Léandre. Elle lui demanderait si elle veut le garder. Puis elle demanderait à Léandre si elle veut le garder. Si Léandre ne le veut pas… Gaia n’arrive pas à imaginer ce qu’il se serait passé si Shiloh n’avait pas eu envie qu’elle garde ce bébé. Est-ce qu’elle l’aurait quand même mis au monde ? Après tout, ils l’ont voulu tous les deux, et aucun des deux n’a pu réellement l’avoir, finalement. Mais tant que la mère le veut, Gaia pense qu’il faut qu’elle le garde, quitte à ce que le père ne soit pas dans le tableau. Et Faith accoucherait, et Gaia lui proposerait son aide, évidemment. Mais c’est tout. Elle ne ferait que ça, lui proposer son aide. Pas question pour elle de lui voler son rôle de mère en faisant passer ça pour quelque chose qu’elle ferait pour son propre bien, non. Non, parce que les choses comme ça ne sont jamais faites pour le propre bien des enfants. Les choses comme ça sont faites par égoïsme, pur et dur. Gaia arrête d’y penser lorsque son fils se remet à lui parler. Juste un “ah”. Elle sait pas vraiment quoi en penser, alors elle hoche juste la tête. Parce qu’après tout, elle sait pas non plus quoi ajouter. Elle ne peut décemment pas lui dire que c’est son père, et qu’elle est sa mère, oh ça non. Et elle ose pas vraiment lui dire qui il est non plus, juste au cas où il… Juste au cas où, seulement. Gaia a confiance en Shiloh. Mais pas à cent pour cent. Pour tout, si. Sauf Léandre. Elle le comprend. Elle peut être proche de lui, en tant que soeur, mais lui. Lui, il n’est rien pour leur fils. Peut-être juste quelqu’un qu’il a déjà vaguement croisé dans le quartier où ils habitaient, mais c’est tout. Alors elle comprend qu’il ait des difficultés à garder son lien de parenté avec Léandre secret. Et Gaia ne serait pas surprise qu’il finisse par craquer, volontairement ou non, et lui dire la vérité. Et Gaia préfère éviter que, si c’est le cas, ou quand ce sera le cas, Léandre fasse le lien direct entre Gaia et lui. Et qu’il comprenne. Ou pire, qu’il s’imagine des choses bien plus atroces comme un garçon qui trompe sa meuf avec sa mère pour ensuite donner naissance à un bébé. Et yeurk, rien que de penser à l’imaginer, ça lui filerait presque la gerbe.
La question qu’il pose ensuite lui fait hausser les sourcils. À cause de lui qu’elle est là ? À cause de Shiloh ? Non. Non, si elle est là au final, c’est à cause de Léandre. C’est parce qu’ils ont voulu jouer leur rôle de parent et qu’on ne le leur a pas autorisé. Et il continue de parler, et plus il parle, plus Gaia a mal. Parce que, qu’est-ce qu’ils ont bien pu lui dire ? Qu’est-ce qu’il sait d’elle, finalement ? Les profs, elle comprend. C’était une garce rebelle au bahut. Du genre à faire des graffitis, à renverser des poubelles et à faire des doigts d’honneur à tout le monde mais surtout aux gens hauts placés dans l’établissement. Mais ses parents… Rien que le fait de l’entendre les appeler papa et maman, ça la blesse. Mais de savoir qu’ils lui ont raconté des trucs sur elle, à son fils, ça la met hors d’elle. Mais. Mais elle respire, et elle se calme. Parce qu’elle peut pas, doit pas s’énerver devant Léandre. Il continue de parler, et il lui demande pourquoi elle était comme ça. Il lui dit que ses parents lui ont rien fait. Et bien sûr qu’il pense ça, parce qu’il peut pas savoir, et qu’elle refuse de lui dire. Mais ça fait un mal de chien à entendre. Alors elle fait comme si elle avait pas entendu. Elle hausse les épaules, comme pour lui dire qu’elle sait pas. Alors qu’elle sait parfaitement bien. Parce qu’on lui a dit qu’elle n’était qu’une enfant et qu’elle ne pouvait pas s’occuper d’un bébé. Alors elle s’est mise à agir comme tel. Elle s’est mise à agir comme un enfant, comme une ado rebelle à qui on interdit des sorties quand vraiment, ce qu’on lui interdisait c’était d’élever son enfant. La chair de sa chair. Mais ses derniers mots la font revenir les deux pieds sur terre, et assez violemment. Elle déteste sa mère. Elle l’a séparé de Léandre à sa naissance, lui a volé son rôle de mère, et l’a envoyé sur l’île quand Gaia a essayé de le reprendre. Mais de la savoir morte, c’est. C’était sa mère, mine de rien. “Elle est morte ?” Pourtant elle est pas assez triste pour bégayer, ou même pour pleurer. Elle est pas assez calmée pour réussir à l’appeler maman.
Puis au fond de son esprit, une idée qui germe, comme contagieuse, qui va la pourrir comme un cancer. Si sa mère est plus là, ça veut dire que Léandre a plus personne vers qui se tourner. Et si c’est le cas, alors ça veut dire que ça paraitra bizarre à personne que Gaia prenne ce rôle, petit à petit comme pour remplacer ce vide que sa mère aura laissé chez son petit-fils.