Histoire
Fuck the fame, fuck the sorrow,
Live with the day and never tomorrow.
Égalité.
- "Attends, attends Eli. Refais pour voir ? Comment t'arrives à faire ça bordel. Tu défies les lois de la gravité dans cette position."- "Mais non ! Allez vas-y fais comme moi ! Place tes coudes sous tes côtes et pose ta tête au sol ! Pieds en l'air pour balancer !"- "Je vais me tordre le cou avec ces conneries ... Si j'crève, je te déshérite et t'auras jamais les codes de ma chaîne."Nonchalante et désinvolte au possible, la plus grande du duo prit son temps pour essayer de reproduire le pas de danse que lui montrait la petite. Le "baby freeze" apparemment. Après plusieurs secondes à essayer de caler ses extrémités là où il fallait pour imiter sa cadette ...
Le bruit d'un corps tombant lourdement au sol retentit dans le gigantesque appartement. Echouée au sol telle une baleine morte Aurélie, silencieuse face à son échec, attendit les moqueries d'Elisa. Mais ils ne vinrent jamais. Au contraire, à la place, ce fut des encouragements.
- "C'était bien ! Réessaie grande soeur ! T'étais à deux doigts !" Elle était pas dupe l'ainée. Elle était naze et le savait. La danse n'était clairement pas son point fort malgré sa souplesse et son envie d'apprendre. Contrairement à la petite qui, du haut de ses 11 ans, se mouvait dans une coordination, une précision et une beauté exemplaire qui pouvait rendre jaloux les plus grands. Aurélie l'admirait, sans pour autant lui montrer, trop fière pour ça. Elle aurait aimé plus lui ressembler, être moins une connasse, être plus intelligente et sympa.
Elisa lui tendit alors la main pour l'aider à se relever, main qu'elle accepta tout en soufflant du nez. C'était les plus vieux qui devaient aider les plus jeunes et pas l'inverse. Elle la remercia d'un mouvement de tête avant de s'asseoir sur le canapé, pas assez motivée pour continuer aujourd'hui. Sa soeurette la suivit alors -visiblement déçue d'arrêter- et, dans un geste tendre et empli d'amour ayant pour but de se faire pardonner, Aurélie l'attrapa pour la serrer fort contre elle. Câlin sincère d'amour fraternel.
- "T'es vraiment débile pour croire en moi, toi. J'apprends pas aussi vite que toi. Mais merci d'essayer. Enfile tes baskets, on va faire un tour sur l'toit. Tu l'as mérité. Largement."Fraternité.
Debout, habillée tout en noir avec le regard fixé sur l'entrée de service, Aurélie savourait cet instant. Son coeur s'emballait à la simple suggestion de cette magnifique vendetta, lorsqu'elle s'imaginait la pression et la panique qui la prendrait à la seconde où elle perdrait le contrôle des évènements.
Pour une simple seconde de plaisir elle était prête à ruiner ses parents.
Pour une simple seconde de joie elle était prête à détruire ces oeuvres d'arts.
Pour une simple seconde de liberté, elle allait tout réduire en cendres.Elle n'était pas seule, la privilégiée. De toute sa bande d'amis provenant d'un milieu bien plus pauvre qu'elle seul Abdel -son meilleur ami- avait répondu présent à son appel. Les autres ne voulaient pas se mouiller. Ironique puisqu'il s'agissait de foutre le feu à deux trois peintures. Acte de rébellion envers la galerie de ses parents, la demoiselle avait hâte. C'était le soir. Quelques minutes avant la fermeture. Les visiteurs partaient. Bientôt, il n'y aurait plus un seul témoin mis à part les caméras de surveillances et les gardes pour assister au feu de joie.
Mais Aurélie n'avait pas envie d'attendre. Elle voulait ressentir cette excitation coupable le plus rapidement possible. Après avoir salué un garde -un "ami" de la famille- qui par excès de confiance ne les fouilla pas, elle entra dans un hall au hasard. Pas ici, elle n'avait pas envie. Elle continua de se mouvoir entre les oeuvres d'arts, observant les caméras et les angles qu'elles balayaient. L'idéal était de ne pas se faire chopper, bien entendu, cependant le frisson de justement, se faire attraper, lui procurait de belles sensations.
Avant toute chose elle se rendit dans la salle de surveillance où elle y salua d'autres gardes, leur tapa la causette plusieurs secondes avant de désactiver le système anti-incendie lorsqu'ils ne regardaient pas. Comment démarrer un feu avec sinon ? Néanmoins, ne voulant pas tuer qui que ce soit, elle avait prit soin de laisser l'alarme. Hélas un détail lui avait échappé. Le lieu n'était complètement vide. Sa petite soeur était sur place.
Elle repartit alors à la recherche d'un endroit sympa pour débuter les festivités. Et le duo trouva. Un coin calme, une seule caméra. Elle lâcha un regard vers son ami qui comprit directement. Il lui fit un sourire et se mit juste en-dessous de l'appareil de vidéosurveillance. La fille déposa son sac au sol, l'ouvrit et sortit une bombe aérosol ainsi que son briquet tandis que son collègue s'était occupé de la caméra en la détruisant avec ce qu'il avait sous la main.
Et Aurélie libéra toute sa frustration, toute sa colère comme un véritable dragon. Elle crachait le feu de sa haine et brûlait tout. Tout. Et le pire, c'est qu'elle adorait ça. Pas cramer des toiles, non, mais ce sentiment de toute puissance qui lui provoquait une décharge constante de dopamine dans le cerveau.
Aurélie riait aux éclats.
Aurélie était complètement heureuse.Les flammes dévoraient déjà le hall et la demoiselle resta plusieurs secondes à observer son acte et savourer le chaos qu'elle venait de causer. Elle aurait aimé avoir sa caméra à ce moment-là, histoire de filmer et poster sur le net sa vengeance personnelle. Sa chaîne avait atteint un bon petit nombre d'abonnés, qui la suivaient pour ses vidéos sur le Parkour et le Free running. Mais franchement, qui pouvait refuser de voir l'avant-première d'un crime commit délibérément ? La sortant de ses pensées folles, elle sentit une pression sur son épaule. C'était Abdel. Ils devaient partir. Ce que le duo fit, par une porte arrière qui menait vers le parking des employés. Ils escaladèrent le grillage sans réel problème et commencèrent à fuir vers une ruelle. Une fois arrivés, ils montèrent à une échelle de secours menant sur le toit et continuèrent à courir. Abdel, bien que moins rapide et surtout moins agile que son amie, réussissait à la talonner. Le duo pratiquait le parkour ensemble depuis plusieurs années maintenant, ils avaient l'habitude.
Sauf que le garçon fit l'erreur qui leur coûta leur liberté.Ce dernier avait mal évalué la distance entre deux toits et avait chuté de plusieurs mètres de haut sur le pavé glacé. Aurélie, alarmée par son cri de peur puis de douleur, glissa le long d'une gouttière -brisant au passage cette dernière- pour le rejoindre au sol. D'un regard elle jaugea son état. Ce con s'était pété une jambe, pas moyen de le porter jusqu'en haut. Tant pis.
Ignorant entièrement ce qu'Abdel disait -lui qui voulait rester derrière pour lui permettre de partir-, la rouquine porta son camarade sur le dos et commença à sortir vers la rue. Pas question d'abandonner la deuxième personne la plus importante dans sa vie. S'ils devaient tomber, ce serait ensemble et pas autrement. L'adrénaline lui donnait littéralement des ailes, lui permettant de supporter le poids bien supérieur au sien de son ami sans s'arrêter. Hélas à peine arrivés à un croisement, une voiture de police les arrêta.
C'était fini.
Le reste fut bien trop rapide. Jugée pour incendie volontaire, mise en danger d'autrui et destruction de bien, personne ne lui donna le choix d'aller sur l'île. La demoiselle s'en fichait et ne regrettait qu'une seule chose.
Le fait qu'elle avait mis en danger sa petite soeur sans en être consciente et qu'elle devait désormais l'abandonner sans pouvoir lui faire ses adieux.
Liberté.
Assise sur le toit de ce qu'elle appelait "maison" depuis plus de 5 ans maintenant, sous un magnifique ciel étoilé d'été, Aurélie retraçait tous les évènements qu'elle avait pu vivre depuis son arrivée sur l'île.
Son arrivée fut complètement chaotique. Normal après tout, pour une frenchie nulle en anglais de 17 balais. Mais ça ne l'avait pas arrêté, non. Elle avait fait des efforts pour s'adapter à cette société et son premier fut d'accepter de retourner à l'école de manière régulière. Elle y avait appris les bases de la langue de Shakespeare grâce à la patience et la gentillesse de la belle Zoya. Plus facile de dialoguer avec quelqu'un et de comprendre avec une française en même temps. Après deux longues années, la rouquine avait fini par savoir manier les mots de tous les jours pour bien s'insérer dans le merveilleux pays imaginaire. Sa soif de liberté l'avait poussé à arrêter les cours, quitte à se démerder avec ce qu'elle savait pour survivre. La tentation de rejoindre un gang ne fut jamais aussi forte. Mais bien heureusement sa prof', véritable voix de la raison dans sa vie, lui avait fortement conseillé de devenir exploratrice. Et elle avait accepté.
Clope au bec, elle expulsa un nuage de fumée âcre, les jambes pendantes dans le vide. D'ici, elle pouvait sentir l'énervement de sa chère copine située à quelques mètres sous les pierres qui lui servaient de banc. La traceuse n'était pas rentrée de la journée. Non. Elle avait encore quelque chose à faire avant de pouvoir serrer dans ses bras son amour.
Elles avaient mis du temps à se mettre ensemble, bien que la rouquine était tombée plutôt rapidement sous les charmes de cette organisatrice dès les premiers mois à la côtoyer en classe. Un jour, alors qu'elle rentrait d'une exploration peu concluante, elle avait décidé de la draguer sans aucune grâce pour enfin avoir une réponse. C'était du rentre-dedans, totalement improvisé, sans aucune grâce. Et ça avait fonctionné. Ce jour-là, le duo s'était rendu entre les murs sur lesquels Aurélie était actuellement assise pour célébrer leur relation. Et depuis, elle n'avait plus décollé du nid. Elle commençait malheureusement à le regretter. Ce n'était pas les sentiments qui clochaient. Mais tout ce qu'il y avait autour. Jalousie, frustration, désaccords constants. Elle ne savait plus quoi faire à part continuer à gueuler et passer ses problèmes sous adrénaline.
L'exploratrice jeta sa cigarette du haut de son perchoir et se redressa directement. Lettre écrite main dans son sac à dos qu'elle portait en quasi-permanence, elle avait quelque chose à livrer à l'un de ses "clients".
Son travail, officiel comme officieux, lui plaisait. Enormément. Elle passait son temps à courir, grimper, glisser, sauter, partout sur l'île. Personne ne pouvait rien lui dire, c'était son job. Enfin. Sauf quand elle s'enfonçait trop dans certains territoires. Et encore. Ça lui plaisait de se faire pourchasser par des Magiciens drogués, des Chimères vénères, des Alchimistes bourrés ou des Sages pétés. Ça l'amusait et lui offrait une bonne dose de dopamine. Bien évidemment, se balader sur la falaise et escalader des rochers où le moindre faux-pas pouvait lui être fatal était aussi l'une de ses activités préférées. Elle aurait pu être postière. Elle connaissait tout le monde -et surtout leur vies privées- ainsi que les passages les plus rapides pour accéder à droite et à gauche. En un sens elle l'était. Elle portait bien des choses d'un bout à l'autre de l'île pour ses clients et se faisait payer en retour. Son second travail était le plus lucratif, celui qui lui permettait de vivre bien malgré la précarité de l'endroit. Aurélie pouvait acheter un peu tout et n'importe quoi, en échange de quelques informations trouvées ... Pas vraiment légalement. Mais elle était heureuse comme ça. C'était le principal.
C'était Mercredi soir. Demain les nouveaux allaient débarquer ici. Mais ce soir, Aurélie devait livrer des informations. Elle prit son élan et sauta de son perchoir, disparaissant dans la nuit noire.