Histoire

porco rosso

Le roux capillaire. Un matin encore hivernal, Xander poussa son premier cri aux alentours de quatre heures du matin. Cri strident presque autant que les yeux globuleux de son père, en le prenant dans ses bras. Des cheveux apparents qui se distinguent immédiatement de par leur épaisseur autant que par la couleur si étrange, si inattendu. Roux, provoquant la stupéfaction de nombreuses personnes dans la pièce, tant du côté de la famille que le personnel médical. Des regards quelque peu compatissants tandis que le bébé vit ses premiers instants. Lové dans les bras de sa mère, il semble rechercher un refuge, elle se blottit contre lui. Elle le sait, elle le sent. Il naît avec cette caractéristique, elle le veut d'ores et déjà si fort. Elle ignore encore, la malheureuse. Ce n'est que le premier élément qui sera bientôt suivi de d'autres, plus préoccupants alors.

Introverti, fuyant, méfiant, timide, solitaire... Le petit garçon à la bouille d'ange et au gabarit svelte se détache des autres tant sur le plan physique que psychologique. On le cantonne à un être de lecture, un de ceux qui ne s'attachera jamais aux autres. Ecarté de l'école, il ne cherche pas à les contrer, à démentir. Son corps est aussi peu expressif que ses mots, peu nombreux. Ses parents le contemplent, le cherchent, le questionnent. Et toujours les mêmes réponses. Lancinantes, Xander est un jeune garçon peu loquace.

Trois années , trente six mois le séparent de son frère, Dimitri. Il est le second, le cadet, le chouchou. Il possède tout ce que Xander n'a pas : la prestance, le dialogue, les cheveux bruns, le regard séducteur, le ton blagueur, le tactile... Sa famille s'émeut devant cet être plus jeune mais dans le moule. Il se sentira mieux dans cette société, c'est ce que les Ashtakov se répètent lorsqu'ils se retrouvent dans la cuisine, seuls. Xander s'est levé un soir, il a perçu au loin la lumière blafarde éclairer les visages de ses deux parents. Pleurant au dessus de l'épaule de sa femme, le paternel qui constatait toute l'incapacité de son aîné d'être un modèle pour son frère, d'être celui qui lui montrera le chemin. Xander était un individualiste dans le sang, cet homme qui ne pouvait ni avoir d'amis, ni prétendre pouvoir s'en faire. Il se contentait de lui-même, souffrant intérieurement de cette incapacité à communiquer, à émerveiller les autres. Les éloges répétées par les oncles, les tantes, pour son frère contribuèrent nettement à agrandir le fossé entre eux et diminuer la confiance du rouquin sur ses capacités, sur ses aspirations. Il se trouvait constamment en deçà des autres, en dessous de son frère si parfait.

Le rouge des lèvres.

Il faisait beau, ce jour là. Le soleil se couchait à peine, derrière les arbres qui se réveillaient d'une hibernation un peu tardive. Comme à son habitude, Xander avait prit le tramway pour rentrer chez lui après l'école. Les cours l'avaient fatigué mais il s'était arrêté volontairement avant le terminus pour marcher tranquillement sur le trottoir avant d'arriver chez lui. Il avait décidé de rallonger son parcours pour se vider la tête, plonger dans ses pensées. A la maison, ils s'offusquaient bien souvent qu'il se plonge dans ses livres ou ne leur adresse que peu de mots pour expliciter sa journée. Cela expliquait comment il finissait assez rapidement par vaquer à ses occupations plutôt que de se justifier. Incompris, il l'était irrémédiablement par ses pairs, par cette famille qui le voyait comme un être différent, associable.
Sur ce chemin qui le ramenait chez lui, il s'arrêta pourtant lorsqu'il la vit. Elle. Face à lui, emmitouflé dans une veste chaude et un bonnet avec un pompon au dessus de la tête. Une crinière blonde ondulée qui le contemplait d'un air malicieux mais extrêmement doux. Un visage si fin et des yeux en amande dont il ne pût ni se détourner, ni oublier cette sensation. Ce premier échange l'avait touché, il l'avait pris aux tripes autant qu'au coeur. Cet organe qu'il ne connaissait pas, qu'il savait seulement capable de pomper du sang... du moins c'est ce qu'il avait appris à l'école. Et pourtant, Xander venait de tomber sous le charme. Ce n'était ni une pente glissante causée par du verglas ou des excréments de chiens. Non, il venait seulement d'être charmée par une princesse russe, Anastasia des temps modernes.

(...)

Ce fût des doutes qui le guettaient, le soir. Anastasia semblait distante depuis quelques jours et il le percevait bien. Il avait beau se dédouaner d'une telle sensation, il était impossible de nier l'évidence. Elle mettait du temps à répondre à ses lettres, restait évasive sur son quotidien. Ils étaient jeunes, Xander essayait de se retenir de lui demander tant de choses, craignant de la décevoir, elle aussi. L'évidence même tomba quelques jours plus tard seulement, lors de la sortie de l'école.

Des mains qui se joignent avant que leurs lèvres se trouvent. Cruelle trahison, pire encore de celle d'apercevoir sa dulcinée fermer les yeux quand ce connard vient trouver le repos en écrasant sa bouche sur la sienne. Le sang parcoure les veines du russe en deux secondes. La vodka, il en avait déjà goûté cela l'avait secoué et mis à terre mais rien de comparable à cette image, maintenant, qui lui assécha le coeur. Lui qui avait puisé tous ses espoirs dans cette histoire, elle venait de le trahir en lui plantant un couteau dans le poitrine. Jaillissant les pleurs de cette défaite, de cette tromperie. Ce n'avait jamais été que lui, il n'avait pas été le seul. Deux tableaux pour cette duchesse qui n'en était aucunement une. Une farce à laquelle il était le dindon et dont il ne pouvait se défaire.
Et cela tourna en boucle, des jours durant.

Il se demandait si il ne devenait pas fou, ressassant cet instant dramatique qu'il gardait enfoui. Ni la traîtresse, ni l'amant n'avaient pu remarquer sa présence, détecter le mal être qui le rongeait chaque jour un peu plus. Une plaie saignante qui présageait le pire.
Il l'attendait, à la sortie du collège. Il faisait froid comme à l'accoutumée, le soleil baissait derrière l'horizon qui se distinguait à peine. Les éclats de rire occupaient l'espace tandis que, tremblant, Xander attendait de le revoir. Ce rival qui avait pris sa place dans le coeur de sa petite amie, ce garçon qui avait su la faire chavirer alors que lui avait été lâchement secondé. Pauvre mec qui ne pourrait jamais véritablement s'assumer, trouillard éternel qui ne serait jamais en première ligne. Il finit par sortir, quelques minutes plus tard. Droit comme un I, Xander s'approcha de lui. Il le dévisagea de suite, envoyant par sa gestuelle un message clair à son adversaire: il lui voulait du mal.
- Hey mec, tu ferais mieux de changer de regard sinon je vais t'éclater la face.. Xander inspira profondément, les sourcils se fronçant légèrement avant de répondre, les poings serrés. - Tu connais Anastasia ? Tu sais ce qu'elle était pour moi? . Le jeune garçon réfléchit une minute, recherchant si ce prénom lui disait quelque chose. Il cligna des yeux et lui adressa, avec un sourire narquois. - Ah oui, tu es ce fameux gars qu'elle a dû laisser tomber... Tu sais que tu fais pitié ? Enfin vraiment, avec ta gueule tu crois que tu vas me faire peur ?
. Il lui fit signe de circuler et Xander se retourna instinctivement. Il lui faisait dos et songeait à rentrer chez lui, à oublier cette confrontation qu'il était venu chercher. Ses poings toujours serrés le persuadent du contraire et il lui fait de nouveau face. L'homme compte l'ouvrir de nouveau, arquant un sourcil pour montrer son étonnement.

Xander ne le laisse pas terminer, se précipitant soudainement sur lui. Ses poings se délivrèrent de tant de remords et de rancoeur qu'il avait contre elle, contre lui. Les coups fusèrent de toute part, l'homme essayant de contrer l'acharnement de Xander qui se faisait toujours plus pressant, violent. Lorsqu'ils ne suffirent plus, les seules mains du jeune homme vinrent serrer son cou dans une ardeur si folle qu'incontrôlable. Le rival , livide, se sentit sombrer. Allongé, la vie le quittait peu à peu et Xander, furieux,n'y voyait que du feu. Il ne mesurait plus l'étrange horreur dans laquelle il venait de plonger. Les témoins vinrent le séparer de son ennemi, les yeux écarquillés et témoignant de leur incompréhension. Xander venait de sombrer.


Le rouge des joues.

Il a passé sa vie à admirer les autres, Xander, à s'appuyer sur eux et sur leur capacité à éblouir sa propre personne. Persuadé qu'il ne pourra jamais le faire lui-même, qu'il ne voudra même pas essayer. Affreusement envieux de ce bien être, de ces autres à la personnalité débordante d'énergie. La solitude l'avait d'ores et déjà gagné, vainqueur de cette sous estime de lui de par cette famille qui l'avait délaissé, par cet amour qu'il l'avait renié.

Le rouge du feu.