L’impression d’avoir été pris au piège. Comme toujours avec Dionysos. L’absence de choix. Il ne lui laisse jamais le choix. Souvenir d’il y a quelques mois, où il l’avait trainé dans l’île sans lui demander son avis pour qu’il participe à la réunion des dirigeants. Non Oswell ne laisse pas le choix. Surtout quand il a une idée derrière la tête. Une idée où il trouve bon de convier la moitié de l’île chez les chimères. Juste ça. Rien que ça. Et il reste sceptique, les bras croisés contre son torse, pas trop parce qu’il suppose qu’il a encore une côte fêlée. Il reste sceptique, assis sur sa chaise, le regard de Dionysos passant souvent sur lui. Comme pour s’assurer qu’il ne prendra pas la clef des champs. Non il est toujours là Iouri, même si clairement il aimerait être ailleurs. Ailleurs qu’ici. Pas bon dans la foule. Pas à l’aise. Heureusement sa table est à l’écart. Comme si on ne savait pas qu’il en fallait peu pour qu’il grogne, trouve le bon prétexte pour quitter ces rendez-vous arrangés. Tellement pas son genre d’être ici. La main forcée. Mais bon l’image des muses à tenir. Il n’a rien contre Dionysos. Mais tout contre cette idée grotesque. Le regard qui s’illumine pourtant lorsqu’il voit qui arrive vers la table qu’il occupe. Étincelles mauvaises dans l’ambre vide de ses yeux, il appuie son visage sur ses mains, coude sur la table. Attitude qui change du tout au tout. On passe de l’indifférence, de l’ennui à un amusement funeste. Pas la même façon de jouer que les autres Iouri. Un peu trop tordue comme façon de faire. Gamin tordu quand on y pense. « Jinwoo. » Le nom est susurré avec une certaine délectation, leurs dernières rencontres ayant laissé un goût d’inachevé à chaque fois. Jinwoo. Le nom prononcé, et non le rang comme il a l’habitude de faire. Jinwoo avec qui il ne peut jouer totalement les indifférents. Envie de contrôle, envie de violence qui côtoient d’autres qu’il ne peut nommer. L’envie de l’avoir à nouveau sous ses doigts. Curiosité aussi de savoir si sous ses vêtements de nouvelles histoires se sont écrites. « Fancy to see you there. » Sourire goguenard tandis qu’il se sert un verre. Plus si enclin à partir Arès. Plus si enclin à disparaître. Non.

Il ne sait plus exactement pourquoi il est venu, Jinwoo. Probablement que c’est parce qu’on le lui a demandé. Il s’est retrouvé embarqué là-dedans, et il trouve pas que ce soit une si mauvaise idée que ça. Rencontrer de nouvelles personnes, ça ne peut décemment pas lui faire de mal. Il a besoin de rencontrer d’autres personnes, d’apprendre à connaître les gens dans d’autres contextes que ceux de ses clients. Même s’il s’entend généralement bien avec ses clients. Surtout depuis qu’il a arrêté d’essayer de se convaincre que tout ça, c’était pour le bien d’autrui. Que s’il se prostituait, c’était aussi parce qu’il aimait ça : le contact, le sexe, les relations et discussions que ça pouvait créer. Depuis qu’il s’en est rendu compte, il a moins de mal à sourire, Jinwoo. Et le mieux, c’est que ça paraît naturel. Quand ça ne l’est pas. Parce que quelque part, dans son esprit à Jinwoo, y’a toujours Mai, et tous les autres Oh. Quelque part, y’a toujours Iouri, ses mains tueuses et ses mots qu’il aime. Quelque part y’a toujours la violence sur cette île, et ce pardon que personne ne semble capable d’offrir, ou d’aider à accepter. Et que Jinwoo, malgré son sourire, n’arrive pas à être heureux dans cet environnement. C’est probablement le but, après tout. Ce serait pas une île prison s’ils pouvaient y être heureux.
Alors oui, un rendez-vous à l’aveugle, c’est une occasion de sortir de tout ça, de ses préoccupations. Il y arrive, cherche son prénom sur quelques tables, ne le trouve sur aucune. Et voit cette table, un peu à l’écart. Sauf qu’à la table est déjà assis la seule personne sur qui il ne voulait pas tomber. Iouri est là. Et lorsqu’il le voit, lui, semble ravi. Jinwoo baisse le regard quelques instants avant de le relever, de prendre une grand inspiration, et de se diriger vers lui. Il regarde son prénom écrit clairement noir sur blanc face à celui de Iouri et se demande un instant ce qui est passé par la tête d’Oswell pour qu’il les mette ensemble. A son Jinwoo, le croyant répond un “Iouri” très neutre. Il ne veut pas jouer avec lui. Il ne veut pas entrer dans son jeu. Pas à nouveau. Il a déjà la gorge sèche alors qu’il prend place face à lui. Il pose les avant-bras sur la table, et croise les mains devant lui. Il sait pas, quoi faire, comment réagir. Alors il fait rien, et réagit pas. Iouri lui fait une remarque qui lui fait hausser le regard vers lui, pour l’observer. Son visage, son sourire. Son sourire. Jinwoo qui se rattache aux lettres qu’ils s’écrivent, qui essaye de se dire que c’est la même personne. Que Iouri n’est juste pas prêt à se montrer tel qu’il est réellement. Et Jinwoo fait abstraction de son envie forte de se lever et de partir. Il peut pas. Il veut pas. Il est plus le même, Jinwoo. Il est plus faible. “Not really.” qu’il répond alors, simplement. Il se pose au fond de sa chaise, le dos collé au dossier, lâchant jamais Iouri des yeux. “Did not think I would see you here. Not exactly the kind of things I would expect you to do.” Parce qu’après tout, Jinwoo pense. Et se dit que la meilleure des solutions pour éviter que Iouri prenne le dessus une nouvelle fois sur lui, sur ses émotions, sur son corps, sur le contrôle qu’il a de lui-même, c’est de prendre la main. Et de tout faire pour la garder.

Tout est de la faute de Dionysos. C’est ce qu’il se dit. Parce que Iouri il n’a rien à faire là. Trainé par l’autre muse, ses regards fixes sur lui pour l’empêcher de bouger. Tout est de la faute de Dionysos. Et pourtant il aurait presque envie de le remercier pour jouer les mauvais karmas. Parce que la personne qui se dirige vers sa table c’est Eros. Jinwoo. Et c’est comme un jeu avec lui. C’est plus facile pour Iouri de prendre ça pour un jeu. De voir l’autre muse se débattre entre ses doigts, tentant de ne plus se montrer aussi faible comme il l’avait été par le passé. Le rictus mauvais, menton posé sur ses mains croisées, il a la tête d’un chat qui sait qu’il va attraper sa proie. Même Cheshire n’a pas des sourires aussi torves. Le nom de la muse entre ses lèvres comme une délicatesse, et la neutralité de Jinwoo qui fait s’agrandir son rictus, tordant son beau visage tristement. Beauté pourtant déjà abimée. Iouri qui affiche un bleu sur le haut de sa pommette, arcade sourcilière ouverte du côté droit, et le coin de ses lèvres abimé, rougi. Ce n’est pas un joli spectacle mais il est quotidien. Et les hématomes fleurissent à la commissure de ses vêtements, tableau tristement usuel. La muse qui ne prête plus vraiment attention à son état. Remarque sur sa présence, il s’étonne presque de le trouver là. Gamin qui se remet aux mains du destin, voilà qui est risible. La question est renvoyée, et il ne peut s’empêcher d’hausser les épaules, main lancée en direction d’Oswell. « This fucker’s fault. Didn’t give me any choice as usual. » Et il ne détaillera pas plus. Parce qu’il n’a pas grand chose à ajouter. Pas besoin de se justifier. Et l’attention qui revient naturellement sur Jinwoo, le sourcil élevé élégamment. Et lorsqu’il bouge Iouri, sa boucle d’oreille, la même que Paz, s’agite un instant dans un bruit de carillon et sa main se pose sur la joue de Jinwoo. « You’re shaking. Are you alright? » Fausse prévention, il s’amuse presque de le voir tenter d’aller contre sa nature, de le voir faire le fort. Ça lui donne juste envie de jouer un peu plus avec lui. Jinwoo qui semble vouloir rester à la lumière des attentions d’Arès. « Or … Are you still afraid? » Le rictus mauvais et dans ses yeux le vide. Juste le vide. « Shouldn’t you be okay cause I can’t do anything to you here? »

Jinwoo commence à comprendre Iouri. Ou en tout cas, il le pense, l’espère. Il commence à piger que Iouri, c’est malheureusement pas que ce qu’il lit dans les lettres, mais c’est clairement pas que ce qu’il montre aux autres non plus. Et Jinwoo sait pas vraiment s’il est censé se comporter avec lui comme il se comporterait face au Iouri des lettres, ou s’il doit se comporter avec lui sans prendre les lettres en compte du tout. Sauf que, s’il les prenait pas en compte, il partirait en courant, effrayé par ce que Iouri pourrait encore lui faire subir. Parce qu’il veut pas revivre ce qu’il a vécu ce jour là, lorsque Iouri l’a acheté, a acheté ses services et lui a fait vivre le pire (et étrangement un des plus excitants) moment de son existence. De sa médiocre petite vie. En soi, il a que vingt-trois ans. Jinwoo est encore un enfant. Mais en quelques mois, il a l’impression d’avoir vécu tellement plus que ce qu’il a pu vivre en vingt-trois ans. C’est. La majeure partie de ces choses étant liées à Iouri. Ou à la perte de gens qu’il aime. Sa famille. Il les a tous perdu. Mai, il l’a perdu. Nikita, il l’a perdu. Et Iouri a débarqué dans sa vie comme un boulet de canon prêt à tout détruire. Toute ses certitudes, tout ce en quoi il avait toujours cru avant de le rencontrer. Même si, en soi, dans sa vie, il y est depuis trois ans. Puis y’a eu l’arrivée de Junhwi qui a surplombé tout ça et Jinwoo a aucune idée de quoi faire avec tout ce qu’il se passe. Il subit et essaye de garder le contrôle. Oui. C’est le plus important, de garder le contrôle, à tout prix. Si ce n’est des autres, au moins de lui-même. Et garder son frère proche de lui, pour éviter qu’il ne fasse de trop mauvaises rencontres. Parce qu’après tout, s’il est chez les Muses, il peut surveiller avec qui il passe ses journées. Et tant qu’il ne s’approche pas de Iouri, tout devrait bien se passer. La réponse (grossière) de Iouri ne le surprend pas. Il lui dit ensuite, essaye de lui dire qu’il tremble. Mais Jinwoo sait bien que ce n’est pas le cas. Pas qu’il n’ait pas peur de Iouri, mais il ne tremble pas. Il le sait. Il le sentirait s’il tremblait. Puis y’a toujours cette voix, au fond, qui lui rappelle que Iouri est aussi la personne à qui il a écrit toutes ses années. Et. Il ne tremblera jamais de peur devant cette personne. Jinwoo fronce légèrement les sourcils, comme pour faire passer le message à Iouri que non, jamais. Non, il ne tremble pas. Il lui demande s’il a peur. Oui. Jinwoo est proche d’être terrorisé. Mais s’il pense qu’il va lui avouer, Iouri le connaît bien mal. Il garde les lèvres scellées, ne voulant rien ajouter. Ne trouvant rien à dire. Il lui pose une question ensuite. Et sans pouvoir réellement retenir quoique ce soit, Jinwoo laisse s’échapper un petit rire jaune. Un rire presque dédaigneux. Pas de Iouri. Mais de ce qu’il vient de dire. Du fait irréel que l’idée qu’ils soient pas seuls l’empêcherait de faire quoique ce soit. “I don’t think you would care. You would rape me here and now if you wanted. Crowded or not.” C’est cru. C’est bien plus cru que ce que Jinwoo pensait. Et les mots lui ont brûlé la bouche lorsqu’il les a prononcé. Jinwoo a évolué, trop, beaucoup trop rapidement. Et il ne le doit qu’à la Muse, au démon, face à lui. Il aime foncièrement la personne avec qui il discute depuis trois ans par correspondance.
Mais il voue une réelle haine à Iouri, qui se trouve actuellement face à lui.

C’est de la faute de Dionysos. S’il est là. Si Jinwoo est là. Et dans son sourire à Arès, il n’y a rien de bon. Et dans ses yeux. il n’y a rien. Juste le vide comme toujours. Juste rien. Les émotions qui ont fui il y a bien longtemps ces pierres d’ambre. Vides. La résine s’est ternie, et l’ambre a cessé de luire. Vide. Et pourtant Iouri se demande presque ironiquement si Oswell sait ce qu’il a fait en les mettant ensemble. S’il sait que plus qu’un mauvais karma, c’est la fatalité qu’il impose à Jinwoo. Parce qu’il est terrible Iouri avec lui. Ignoble. Et entre ses mains, il fait jouer Jinwoo, avec ou contre sa volonté. Aphrodite qui joue les forts pourtant, essaye. Mais s’il ne tremble pas, contrairement à ses mots, il sait qu’il y a dans son regard une touche d’effroi. Il sait qu’il a l’attitude d’un animal aux aguets à rien d’être aculé. Et il en joue. Naturellement. Parce qu’il lui en veut pour Nikita. Parce qu’il s’en veut aussi. Parce qu’ils ont assassiné un ange en ne voyant pas ses mains tendues. Parce qu’il l’intrigue aussi. Iouri présence nuisible dans son entourage. Il ne peut que détruire. Et c’est pareil avec Jinwoo. Si son évolution l’intrigue, il ne peut s’empêcher de vouloir le malmener encore et encore, juste pour voir ses réactions. La main sur sa joue il épie chacune de ses réactions, le rictus cruel entre ses lèvres. Même lorsqu’il rit. Même lorsqu’il a ce côté amer qui abime ses traits Jinwoo. « Rape you? Should I try? » Le murmure n’est pas joueur. Non. Le murmure a le ton d’une promesse. D’une menace. Et il a été trop loin dans ses mots. À trop vouloir jouer les forts on finit toujours par se blesser. Et Jinwoo ? Il finit par se brûler les ailes. Sa main qui glisse de sa joue à son col en un instant. Jinwoo qu’il tire et qu’il plaque contre la table brutalement. La tête contre le bois tandis qu’il est sur lui en un instant. « So should I? Should I take you there? Last time you asked for more. Is that what you want? To be taken again like a bitch in heat? » Et si Jinwoo s’est montré cru, Iouri l’est tout autant. Cruel même. Assis avec force sur le bas du dos de l’autre muse, sa main qui tient ses cheveux pour le forcer à rester à plat ventre contre la table. « I fucking despise you. You and your fucking superior way to look at me. You’re not any better. Kinda the worst darling. »

Il lui a dit des choses horribles, des choses que Jinwoo refuse d’entendre. Des choses qu’il sait fausses, mais qui l’ont poussé à prendre le rôle d’Aphrodite malgré tout. Iouri lui a balancé des monstruosités au visage, et a payé pour son corps. Et Jinwoo déteste ça parce qu’il a aimé ça. Pas qu’il aime pas le sexe avec ses autres clients, mais avec Iouri, c’était différent. Probablement parce qu’il savait déjà à l’époque, que Y et Iouri était une seule et même personne, et que finalement, il faisait l’amour à la personne des lettres, pas à Arès, ni au client Iouri qui le tient responsable, en partie, de la mort de Nikita. Jinwoo voulait pas réagir comme ça, le provoquer. C’était la pire des idées, il le sait. Mais c’est trop tard maintenant. Parce que les mots sont lancés, c’est dit, c’est dans l’air, et Iouri les a entendu. Et ça lui fait un peu peur, Jinwoo. Parce qu’il sait pas comment il va réagir, parce que Iouri est imprévisible. Mais quelle que soit la façon dont il va réagir, il sait oui qu’il va mal réagir. Et que Jinwoo va encore se retrouver emprisonné entre ses différents sentiments, ses différentes émotions. Et il déteste lorsqu’il est bloqué. Il déteste lorsqu’il est pas libre de ressentir ce qu’il veut parce que ça lui fait du mal. Il veut pas avoir mal, Jinwoo, mais depuis qu’il a rencontré Iouri, depuis qu’il a compris qui il était, il a l’impression que sa vie n’est qu’un tourbillon de douleur. Il est pas surpris lorsque la main de Iouri descend sur son col et qu’il l’attrape avec violence pour le coller contre la table. Il est pas surpris lorsqu’il sent le poids du corps de Iouri sur lui, et ses mots qu’il ne veut pas entendre. La poigne dans ses cheveux ensuite, qui se fait dure, violente, et forte. Jinwoo a la joue collée sur la table et ça fait juste mal. Mais il pleure pas, oh non. Non, il veut pas pleurer. Puis il est trop en colère pour pleurer. Il veut qu’il le lâche. Aujourd’hui, il a pas payé pour lui, et il ne se passera rien, c’est ce que Jinwoo a décidé. Il lui parle de la dernière fois, et Jinwoo feule de colère. La dernière fois, c’était un rôle. C’est ce que Jinwoo doit réussir à faire croire à Iouri. La dernière fois c’était Aphrodite qui lui en demandait plus, pas Jinwoo. Il lui dit qu’il le déteste, et c’est pas grave.
C’est réciproque.
Jinwoo se débat pas, parce qu’il sait que c’est inutile. Et malgré ses mots, il sait aussi que Iouri ne pourra rien lui faire ici, devant tout le monde. Et aussi répugnant que ce soit, Jinwoo trouve presque ça dommage. Mais il flagelle son esprit pour avoir ressenti ça ne serait-ce qu’un quart de seconde. Il entend une voix, Dionysos, qui leur dit de pas faire ça ici, qu’ils sont tous les deux Muses et qu’il y a des endroits pour ça. Bien sûr qu’il y en a. Mais Jinwoo n’a pas envie de s’y rendre. Ou en tout cas, tout son côté raisonnable essaye de le convaincre qu’il n’a pas envie de s’y rendre. Pourtant lorsque Iouri se recule de quelques centimètres comme pour amorcer le mouvement, Jinwoo ne s’enfuit pas, il le suit. Il est faible,
si faible,
face à Y, mais aussi, il déteste d’avoir à l’admettre,
face à Iouri.