Cher toi,

Le Ramadan chez les Musulmans a commencé aujourd'hui. Et Dimanche chez les Turques, je crois. Je sais pas vraiment comment les gens vont réagir cette année face à ça, sur l'île. Est-ce que tu penses que beaucoup d'entre eux le font ? Le jeun, passe encore. Après tout, sur l'île, à part si on est vraiment privilégié, j'ai l'impression que c'est toujours un peu le jeun. Mais pour le reste ? Combien de ces jeunes sont capables de se passer d'alcool, de tabac, de drogue ou de sexe ? Puis, ils sont pas censés jurer, non plus. Je pense sincèrement pas avoir passé un seul jour depuis que j'ai débarqué sur l'île, où j'ai pas entendu d’atrocités. Ou si. L'année dernière, lors du ramadan. Tu vois, c'est bizarre. Parce que c'est la preuve qu'ils en sont capables, de se passer de tout ça. De l'alcool, du tabac, des insultes, de la haine. Alors pourquoi est-ce qu'ils le font pas toute l'année ? Ce serait plus sain, pour tout le monde, tu penses pas ?
J'ai jamais eu besoin que ma religion me dise de bien me comporter, personnellement. Et ça devrait pas servir à ça, une religion. Je sais pas, ça me semble logique.

Ils peuvent manger, lorsque le soleil sera tombé. Ils peuvent avoir des relations sexuelles aussi, lorsque le soleil sera tombé. Et je pense qu'ils vont en profiter. Mais je me demande. Quand est-ce qu'ils dorment ? La journée ? Qui aurait l'idée saugrenue de dormir pendant la journée sur une île comme celle-ci ? Enfin, faut être insouciant, non ?
C'est pas que les gens ici me font peur. Mais ils me rassurent pas, non plus. Les gens sont pas rassurants. Je pense souvent que les gens sont fous. J'arrive pas à me faire à l'idée, et ça fait cinq ans que je suis ici, que des personnes ont réellement tué, violé, fait du mal à d'autres personnes, pour débarquer ici. J'arrive pas à me faire à l'idée que l'Âme humaine puisse renfermer autant de colère, de haine, de mal-être. Au point de commettre des actes comme ça.

Je sais pas, ce que t'en penses. J'aimerais bien savoir. On a jamais parlé de pourquoi t'étais là, ni de pourquoi j'étais là. Je sais pas si j'ai vraiment envie de savoir, pour être tout à fait honnête avec toi.
Probablement pas.

J'espère que tu vas bien, en tout cas.

j. ;

Malheureusement tu connais mon optimisme. Et même si cette île peut avoir quelque chose de rédempteur, beaucoup ont abandonné la foi en arrivant ici, si ce n’est avant. Le jeun … Certaines personnes s’en sortiront toujours mieux que d’autres. Et d’autres ont appris à faire avec ce qu’ils ont. Cela ne m’a jamais vraiment dérangé de ne pas manger à ma faim. Le corps s’adapte. L’esprit par contre est plus délicat à convaincre. Pour le reste la tentation est forte j’imagine. C’est aussi à ça que servent les muses dans un sens, pour le sexe. Le reste des gangs, pour l’alcool, la drogue etc. Beaucoup ici veulent oublier. S’oublier. Je les comprends parfois. Mais je me refuse à oublier. Ce n’est pas pour autant que c’est facile de ne pas succomber. La religion n’est plus un phare sur cette île, c’est sans doute plus vue comme une barrière que comme un guide. Et les barrières, limites, l’être humain finit toujours par vouloir les dépasser. Et y arriver.

Tu es toujours trop optimiste. Si certains sont innocents, pour beaucoup la culpabilité est avérée. Mon père me disait toujours que si l’âme est pure, mais le réceptacle souillé, l’âme ne sera pas épargnée, et le monstre qu’elle deviendra une évidence. De même si le corps est immaculé, mais l’âme torturée alors il se teintera de la noirceur de ce qu’il enferme. C’est un peu délicat à concevoir comme concept n’est-ce pas ? Il n’y a pas beaucoup de bonnes personnes. Moins encore ici, et les années passées sur cette île m’ont conforté dans l’idée que ce n’était en rien une rédemption mais une punition. Dieu nous tous a abandonné. Ou presque. Sans doute qu’il y a des âmes à sauver du purgatoire.

Tu ne veux pas savoir.
On est tous là pour quelque chose.
Toi, moi.
Mais le mieux est de ne rien savoir.

Je survis. Comme toujours.
Que le monde te sourit un peu aujourd’hui.

Cher toi,

Je n’ai jamais considéré ma religion comme une barrière. Quelque chose dans la foi en Dieu me donne la force de continuer, une raison de continuer, même. Puis la vie est si précieuse, que je trouve ça logique d’essayer de remercier quelqu’un pour l’avoir reçu. Je pense que plus que les parents, c’est Dieu qu’il faut remercier pour être en vie. Et je comprends pas vraiment qu’on puisse se détourner d’un chemin si rédempteur d’une façon aussi définitive que certains l’ont fait sur l’île. Enfin, c’est. Je pense que la religion pourrait les aider, pour beaucoup. C’est dommage que ce soit catalogué comme quelque chose d’aussi négatif. Comme une barrière à la liberté. Je l’ai jamais vécu comme ça. Et je sens, je sais que sans ma religion, j’aurais eu une vie complètement différente. Une plus mauvaise vie.

Je ne pense pas être particulièrement optimiste, ou en tout cas, j’aimerais bien que ma façon de voir le monde ne soit pas considérée comme optimiste, mais comme réaliste. Je comprends ce que tu dis, à propos de l’âme, du réceptacle. Mais je pense qu’on devrait plutôt imaginer la chose à l’inverse. Et si la bonté du corps, ou de l’âme, réussissait à réparer la fissure ? Et si la pureté réussissait à chasser la noirceur ? Je pense que c’est possible. Difficile, mais possible. Les hommes ont juste peur de ce qu’ils ne comprennent pas, et de ce qu’ils ont peur de ne pas pouvoir atteindre. Je pense que c’est dans la nature de l’homme d’avoir peur de l’échec. Beaucoup de personnes sur l’île devraient essayer de réellement se repentir. Mais aucun n’osera essayer, par peur que ça ne change rien. D’avoir fait des erreurs, mais pour rien.

C’est pour ça que je tiens le ramadan en grande estime. Une période entière de moments pour se repentir, et pour être juste bon.

T’as raison, c’est mieux qu’on ne sache pas. J’ai peur de ce que je pourrais penser si je savais pourquoi t’es là. J’ai peur de commencer à avoir peur de toi, si jamais je savais la raison de ta venue ici. Et j’ai vraiment pas envie d’avoir peur de toi.

Yours truly,

j. ;

Je pense que chacun à sa vision de la religion. C’est assez noble de ta part de t’y accrocher et de ne pas sombrer dans le désespoir. Beaucoup n’en sont pas capables tu sais. Et on ne peut pas non plus leur jeter la pierre. Si tu as trouvé de l’aide dans ta foi, certains ont supplié un Dieu qui est resté sourd à leurs prières. Certains ont blasphémé dans l’espoir d’avoir une réponse et de prendre le chemin de la rédemption en vain. Et certains n’ont pas réussi à garder leurs croyances. Certains n’en ont jamais eues aussi. Plus que comme quelque chose de négatif, c’est peut-être un pilier, ou un outil. Malheureusement la foi, les croyances n’ont pas le même but entre les mains de différentes personnes.

Tu es optimiste. Que tu l’acceptes ou non, tu l’es. Il n’y a hélas rien de réaliste ici. Le monde a sombré dans ses vices et ce bien avant la création de l’île. C’est juste un visuel plus marqué de l’abnégation de l’être humain. Tout simplement. Tu parles d’imaginer la chose à l’inverse. Mais Lucifer n’a-t-il pas sombré en emmenant avec lui d’autres anges ? N’est-il jamais revenu au Paradis, ses ailes ne sont-elles jamais redevenues blanches ? Le chemin inverse est bien plus difficile que de sombrer. Que de laisser l’âme, le réceptacle se souiller. C’est malheureusement la quête de la rédemption, et comme tu le dis, la repentance n’est pas un chemin qu’on prendra ici. Parce que beaucoup se sont sentis abandonnés. Par Dieu, par leurs proches, par la société, par le monde.

Je te l’ai pourtant dit non. Plus que de la peur c’est de la méfiance qu’il faut avoir pour autrui. Tout le monde n’a pas le cœur pur, ni de bonnes attentions. Surtout ici. On dit, à juste titre, que c’est un enfer sur terre cette île. Dans un sens j’y crois un peu aussi. Je ne pourrais pas pardonner au monde. Pas pardonner à ceux qui sont ici. Je ne suis ni humble, ni pieu. Je n’ai pas le cœur assez bon, ni l’âme assez pure malheureusement. Je me demande si je n'ai pas perdu la foi en l'humanité il y a bien longtemps ...

Cher toi,

Même si d’un côté, j’imagine ce que certains ressentent, en suppliant Dieu, et qu’il ne répond pas, je n’arrive pas à comprendre pourquoi ça les empêche de croire en quelque chose de plus grand. Dieu ne peut pas s’occuper de chaque personne qui est sur Terre, c’est impossible. Il offre des miracles parfois, par ci par là. Je pense que le fait qu’il n’aide pas les personnes qui le demandent, automatiquement, c’est une façon pour lui aussi de vérifier la foi, de la tester. S’il y a bien une chose qui me déplaît dans ma religion, c’est ça. Tu penses peut-être que ma façon de vivre, de voir ma religion, est un peu spéciale, mais je l’ai toujours vécu comme ça. J’ai souvent prié pour arrêter d’entendre les coups que mes frères et soeurs se prenaient. J’ai souvent prié pour que ça s’arrête. Et ça s’est jamais arrêté. Parce que je pense que Dieu met des obstacles sur notre route justement pour tester si notre foi en Lui est assez importante. J’aime pas trop ça, du tout même. Tester la foi de quelqu’un, c’est la pire idée qu’un Dieu, même tout puissant, pourrait avoir.
Les gens qui n’ont jamais cru à Dieu m’intriguent, beaucoup. J’aimerais avoir une vraie discussion avec un athé, un vrai athé, un jour.

Lucifer n’a jamais essayé. Lucifer a été déchu, mais, pour être tout à fait honnête avec toi, je ne suis pas le genre de croyant à lancer des pierres à Lucifer. Je pense qu’il n’a pas agit de la bonne manière, je pense qu’il a été puni pour ça, mais je pense que ses intentions premières n’étaient pas mauvaises. Je pense qu’il a agit comme ça pour une raison. Une raison qui lui semblait juste. Et j’ai l’impression que c’est faire une mauvaise chose pour une bonne raison, ce genre de trucs. Et j’ai toujours pensé qu’il fallait mieux faire une mauvaise chose pour une bonne raison que l’inverse. Je pense que l’homme est plus capable de fonctionner dans ce sens là, aussi. Quand je parlais d’inverse, c’est que je pense réellement que quelqu’un qui essaye, et qui a l’âme souillée, peut retrouver une belle âme. Mais il ne faut pas abandonner, et c’est un chemin compliqué, semé d’embuche, et il faut se battre contre soi même. Je suis probablement optimiste sur l’âme humaine, mais je sais que beaucoup d’humains fuient devant la difficulté, en général. Et c’est peut-être aussi pour ça, que l’inverse est difficile ? Pas que ce soit impossible, juste que c’est plus facile, d’aller vers l’ombre, que de se battre pour retourner vers la lumière.

Je ne sais pas si tu as perdu foi en l’humanité, et ce serait dommage que ce soit le cas. Mais je ne pense pas que tu sois si mauvais que tu le prétends. Pas avec des mots comme les tiens, pas avec les réflexions que tu as. Quelqu’un de mauvais n’aurait jamais tenu trois ans à discuter de religion et d’autres choses importantes avec un total inconnu.

Yours truly,

j. ;

Des miracles … Quels miracles ? Moi … Je le trouve cruel. C’est sans doute blasphématoire mais je ne peux même pas m’excuser de penser ça. Je trouve que les Dieux que nous implorons sont cruels. Ils se jouent de nous, testent notre Foi. Mais souvent les humains sont fragiles et finissent par détourner le regard du très Haut, de celui en qui ils ont placé tous leurs espoirs. J’étais jeune quand j’ai arrêté de prier. De Le supplier. Parce qu’il ne m’a jamais répondu. Parce que j’ai toujours eu cette impression qu’il m’avait abandonné. Et ce depuis toujours ou presque. Je ne suis plus croyant. La seule chose en laquelle je pourrais croire c’est moi, et encore je ne suis même pas sûr d’avoir assez d’estime pour ma propre personne donc. Mais il doit sans aucun doute y avoir des personnes athées sur l’île, tu trouveras bien quelqu’un à qui parler, j’en suis sûr.

La chute est simple, mais l’absolution délicate, une chimère. Tu penses vraiment qu’on peut garder une âme pure parce qu’on a fait quelque chose de mal pour le plus grand bien ? Je ne pense pas. Lorsque tu décides sciemment de te damner, c’est que tu ne veux pas de pardon. Si tu as décidé d’avoir du sang sur les mains, de faire le mal même pour le bien de quelqu’un, tu n’en restes en rien quelqu’un de bon. Tu montres juste ta mauvaise nature. Ceux ne sont que des excuses que de dire que c’était pour quelqu’un, pour le bien, pour que sais-je encore. À partir du moment où tu as les mains souillées de rouge, de sang, tu auras beau les frotter encore et encore, la sensation restera là. Le péché sera le même. Tu seras toujours coupable aux yeux des autres. Coupable et avec ton crime à expier. Il n’y a pas de rédemption pour les pécheurs. Pas de chemin inverse. Toute une vie de bonté pourrait-elle pardonner le meurtre de quelqu’un par exemple ? Le penses-tu ?

Je ne suis pas quelqu’un de bien. Je te l’ai déjà dit non ? Je ne suis pas quelqu’un de bien. Je ne le serai jamais … Même si … C’est plaisant d’entendre que quelqu’un pense l’inverse de temps en temps. Plaisant, mais toujours loin de la vérité.

Cher toi,

Tu n’as jamais entendu les histoires de ce qui se produit de temps en temps, à Lourdes en France ou même autre part ? Après, je suppose que c’est au choix de chacun d’y croire ou pas. Je ne sais pas ce qui est considéré blasphématoire ou non. Je ne pense pas que quelqu’un de non croyant puisse dire ou faire quelque chose de considérer blasphématoire. Pour blasphémer un Dieu, quelqu’il soit, il faut déjà croire en son existence. A partir du moment où tu ne te considères plus croyant, où tu ne penses plus que quelque chose est au dessus de nous, régit nos vies et nos actions, et nous a mis à l’endroit où on est, je pense que plus rien ne peut être blasphématoire. La blasphème vient de la religion, et il n’y a que ceux qui baignent dedans qui peuvent en faire preuve.
Oui, trouver quelqu’un pour discuter sur cette île, d’athée, pourquoi pas. Mais je te parle à toi, déjà. Et tu es athée. Les autres me font peur. Je suis rarement seul sur l’île en elle-même, et je ne vais jamais plus loin que le centre. Il paraît que la forêt de Bambou est sympa, je n’y suis jamais allé. J’ai trop peur de ce que les autres pourraient me faire, si je m’y rendais seul. Et les personnes qui m'accompagnent en général n’ont pas forcément comme idée d’aller visiter non plus. Je trouve ça dommage, quelque part. J’aimerais bien découvrir de nouvelles choses.

Oui. Je le pense. Sincèrement. Beaucoup de catholiques ne seraient pas d’accord avec moi. Penseraient probablement que ce que je dis revient à marcher sur la mauvaise route, mais je ne pense pas. J’ai une certaine vision de ma religion, et une certaine vision de la société. Et si l’une déteint sur l’autre, l’autre déteint aussi forcément sur l’une. Je pense que, concrètement par exemple, si un enfant tue un violeur parce qu’il est en train d’agresser sa mère. Pas lui, pas de la légitime défense, mais sa mère, alors oui. Oui, je pense que c’est faire une très mauvaise action pour une bonne raison. Et oui, je pense que l’enfant pourra se repentir s’il lui arrive de regretter. Est-ce qu’un dealer qui vend de la drogue sous pression d’un patron qui menace toute sa famille fait quelque chose de mal ? Oui. Est-ce qu’il le fait pour une bonne raison ? Aussi. Est-ce que Dieu pourra le pardonner, je l’espère. Est-ce qu’il peut au moins essayer de se faire pardonner ? Oui. Et surtout, est-ce que son âme sera souillée jusqu’à la fin par cet acte là qu’il a fait pour sauver les siens ? Non, je pense pas. Si ça avait été dans mon comportement, si ça avait été ma façon d’être, je ne suis pas sûre que je n’aurais pas sauté sur les personnes qui frappaient sur mes frères et soeurs jusqu’à ce qu’on parte de l’île. J’ai juste toujours été très, trop, détaché. Calme. Lâche, peut-être un peu. Est-ce que c’est mieux ce que j’ai fait ? De ne pas me salir les mains ? Que quelqu’un qui essaye de sauver les siens, quitte à se les tâcher ? Est-ce que mon âme, en n’essayant même pas d’arrêter les horreurs qui se déroulaient à quelques mètres de moi, n’est pas devenue plus noire justement, que quelqu’un qui aurait essayé de les arrêter ?

Je pense qu’on est toujours “bien” pour quelqu’un. Et même si ce n’est pas le cas, il y a toujours quelqu’un de présent pour nous aimer. Je pense que chaque personne dans ce monde mérite d’être aimer, même s’il n’aime pas en retour. C’est une idée qui me plaît, à laquelle je veux m’accrocher. Tant pis que tout le monde ne t’aime pas, à partir du moment où une personne, au moins, le fait.

Yours truly,

j. ;

Ça fait longtemps n’est-ce pas ? Je m’en excuse. Je ne voulais pas couper la conversation comme ça, mais de nombreuses choses sont arrivées. Aussi bien personnelles que d’autres plus globales. L’ambiance sur l’île n’est plus ce qu’elle était. Et la terreur qui commence à régner fait changer les esprits. Malheureusement ça me conforte dans le sens où il n’y a pas de miracles. Que les hommes ne sont pas capables de faire de telles merveilles. Ce que je vois actuellement me pousse encore à penser ça. La religion est de moins en moins ce dont ils ont besoin. Et les yeux qui se détournent d’un Dieu de plus en plus nombreux. J’espère que de ton côté tu vas bien. Que le doute et la terreur ne te rongent pas. Ne t’ont pas fait changer. Je clame toujours que tu es optimiste, mais ça serait triste si tout d’un coup tu perdais cette vision des choses. C’est rassurant dans un sens de savoir que quelqu’un peut encore fois le bien dans les choses, dans les autres.

Le simple fait que tu penses qu’une mauvaise action puisse être pardonnée est la preuve que tu as beaucoup d’optimisme. L’enfant qui tue le violeur de sa mère. Certes le geste est reconnu comme salvateur, mais l’esprit … Cet enfant sera hanté. Pour la vie. Il reverra le rouge sur ses mains, il reverra le visage de l’homme dont il a pris la vie. Dealer de la drogue n’est pas un crime pour moi. Pas selon les hauts commandements de ta religion tu sais. Je parle de mauvaises actions, celle où une vie humaine est en jeu. Celles où l’on finit par faire souffrir quelqu’un mentalement, physiquement ou même les deux. Le meurtre ne sera jamais pardonné. À partir du moment où le sang est versé, il n’y a plus de salvation. Et puis il y a le fait de vouloir la mort de quelqu’un. Dans ton exemple tu parles de tes frères et sœurs, est-ce que une seule fois tu as voulu la mort de leurs tourmenteurs ? Est-ce que une seule fois tu as rêvé de tuer quelqu’un de tes propres mains ? Je ne pense pas, n’est-ce pas ? Alors sans doute que ça fait de toi une bonne personne. D’autres en soit … Remuent la douleur. Et dans leur esprit impie c’est la mort de quelqu’un qui ressemble à leur salvation. Et le geste n’est en rien un accident. Il est calculé, prémédité. Et ils en arrivent même à ressentir du plaisir. L’action d’enlever une vie devient alors quelque chose qu’ils ont aimée … Tu vois la différence ?

C’est pour ça qu’il y a des bonnes personnes … Et des mauvaises personnes. C’est pour ça qu’il n’y a pas d’absolution. C’est pour ça que le sang ne part jamais vraiment de nos mains à partir du moment où on sombre … Je n’arrive pas à penser que tout le monde peut-être bien.  C’est difficile en soit. Tellement difficile.

Cher toi,

Je sais bien. J’ai vu, senti. C’est ce genre de choses qui ne passent pas inaperçus comme changement d’ambiance. Je ne sais pas trop quoi en penser. J’aime les animaux, beaucoup, mais je me dis que tant que ce n’est pas un être humain, ça peut toujours être corrigé. Mais je t’avoue que je ne me sens pas à l’aise à l’idée que d’un jour à l’autre, quelqu’un comme toi ou moi pourrait mourir. Je n’imagine pas vraiment comment je me sentirais si j’apprenais que quelqu’un était mort et que je n’ai plus de tes nouvelles. Comment je réagirais si je savais que c’était toi ? C’est étrange. Je crois que je préfèrerais que ce soit quelqu’un d’autre. Evidemment, je préfèrerait que ce ne soit personne. Mais si ça devait être quelqu’un, j’aimerais que ce ne soit pas toi. Même si tu considères que tu es mauvais, comme tu me l’as redis la dernière fois, et plusieurs fois avant ça. C’est de l’égoïsme. Mais je pense que sur cette île, la survie dépend en partie de l’égoïsme. Ce n’est pas un discours très positif, n’est-ce pas ? Pas très optimiste, non plus, je suppose. Mais je ne suis pas totalement naïf non plus. Je me rend bien compte que les lois de cette île et les règles de survies ne sont pas les mêmes que dans le monde réel. Et que chacun doit travailler sur soi. C’est compliqué.

En ce qui concerne le pardon, et la salvation, je pense que ça tend vraiment vers à quoi et en qui tu crois. Pour connaître quelques catholiques de l’époque où j’allais à l’église, le pardon est quelque chose dans lequel tu crois ou non. Si tu ne penses pas que le pardon existe, alors dans ta vision du monde, il n’existera pas. J’y crois, au pardon. Mais faut vouloir être pardonné pour pouvoir l’être. Je pense que nombreux sont ceux qui pensent vouloir l’être mais qui le veulent pas réellement. Parce qu’avant de demander le pardon aux autres, je pense que c’est essentiel de savoir se pardonner soi-même. Quand à la famille… Je ne sais pas vraiment. Je suis toujours parti du principe que même s’ils n’étais pas de bons éducateurs, qu’ils étaient violents même, ils nous ont recueilli. Et si, figure toi. J’ai déjà pensé à leur mort, j’ai déjà voulu qu’elle arrive. Probablement moins que mes frères et soeurs puisqu’eux ont vraiment vécu des trucs moches, mais quand même. Quand j’entendais les ceintures claquer, je voulais juste que ça s’arrête, quitte à ce que, pour se faire, le coeur des personnes maniant les ceintures s’arrête, lui aussi.

Ta vision de moi doit être moins pures désormais, je suis désolée. Mais par exemple, après avoir eu cette envie, cette pensée, j’ai été à l’église. Je n’ai pas demandé pardon, je me le suis accordé seul. Je me suis pardonné d’avoir pensé de cette façon. Parce que j’ai compris pourquoi je l’avais fait, et que la raison était valable. Puis, ce n’était que mes pensées. Alors le pardon des autres m’était égal.
J’espère que tu vas bien, tout de même, malgré ce qu’il t’est arrivé, de personnel. Et malgré l’ambiance générale de l’île depuis le loup.

Yours truly,

j. ;

Je ne sais pas ce qu’il faut en penser. Peut-être que cruellement c’est comme un rappel. Que cette île n’a rien de rédempteur. Que les ‘enfants’ qu’elle abrite sont principalement des criminels et nombre d’entre eux ont été condamné pour un crime majeur. Cette île n’a jamais été sauve, n’a jamais été saine. Et sans doute que les lois n’ont été qu’un sursis, un garde-fou pour empêcher l’esprit les plus aiguisé, les plus fous de sévir. Ne t’attache pas. Tôt ou tard on finira par disparaître. Parce qu’on a purgé notre peine, parce que quelqu’un aura ôté notre vie, ou parce qu’on aura décidé que ça n’en vaut pas la peine. Mais ait la conscience tranquille, si je dois mourir, cela sera comme je l’entends. Même si la penser d’arrêter de vivre à quelque chose d’attirant … Tu vois, tu restes toujours le plus optimiste de nous deux. Tu ne peux pas sauver tout le monde. C’est normal de vouloir sauver ses proches et les gens qu’on apprécie. Même si dans le fond je ne mérite pas cette affection que tu sembles me porter.

Je ne crois pas au pardon J. Il n’y en a pas. Pas pour moi, pas pour les créatures qui peuplent cette île. Nos mains sont rouges, et si certains ont l’innocence de leur côté, alors prie pour que jamais ils ne succombent aux pulsions qui nous font tenir une arme, tuer quelqu’un. Commettre un crime. Tu vois … Tu es quelqu’un de pur. Parce qu’il est normal de vouloir que des tourmenteurs souffre, normal de souhaiter leur mort, mais encore maintenant tu recules. Encore maintenant tu leur as pardonné. Parce qu’ils vous ont recueilli. Et tu t’es pardonné. Comme tu l’as dit. Parce que la pensée était justifiée, et que tu n’avais pas été jusqu’à l’acte. D’autres l’ont fait. D’autres ont poussé le vice, ont fini par tuer quelqu’un, par apprécier la satiété du geste. Moi … J’ai haï mon père. J’ai souhaité sa mort. Chaque jour ou presque. Encore maintenant je souhaite qu’il meure … Je n’ai pas les mains blanches. Même si ce n’est pas le sang de mon paternel qui les colore, ça reste tout de même du sang. Et sans doute qu’après cette lettre tu ne voudras plus entendre parler de moi. De toute façon, je n’aurais jamais du y répondre en premier lieux vu que tes mots ne m’étaient pas destinés.

En espérant que tu prends soin de toi
Adieu sans doute ;

Cher toi,

Je n’ai pas arrêté de te répondre parce que je ne voulais plus te parler, ou parce que  ce que tu m’as mis m’a fait peur. Je pense qu’il me faut plus que ça. J’ai arrêté d’écrire parce que ce qu’il se passe sur l’île commence à sérieusement me faire peur. Vraiment. Quelqu’un est mort, désormais. Ce n’est pas juste un loup, ce n’est pas juste un animal. C’est un homme, un vrai. Une femme.  Je ne sais pas vraiment si c’est censé rendre la chose plus terrible encore ou non. Moi je pense que si. Je pense que ça rend la personne encore plus mauvaise, parce que tuer une femme après tout, c’est peut-être plus facile encore que de tuer un homme. Puis, je me demande pourquoi. Je me demande pourquoi la tuer, cette Sage ? J’aimerai les comprendre, ces tueurs. Tous. J’aimerai comprendre pourquoi telle personne fait ci ou ça.
Est-ce que c’est une envie, un besoin ? Quelle envie ? Quel besoin ? Celui de se venger ? De s’amuser  ? Je sais pas. Et même si  ça m’intéresse, j’ai toujours un peu peur de savoir. Un peu peur de découvrir la vérité. J’ai confiance en l’âme humaine habituellement, mais là c’est. C’est trop, je pense. Enfin, j’en sais rien. Je suis plus sûr de grand chose depuis que tout ça est arrivé.

Que tu y croies ou non, j’ai l’étrange impression que pour le moment, tu es la seule constante  sur laquelle je puisse réellement compter sur  cette île. Et ce, même  si de base notre rencontre est une erreur, je  pense sincèrement que  c’en  est plus une. Je considère ce moment où je t‘écris comme un des premiers moments de répit depuis que toute cette histoire d’arme à commencer.

Yours truly,
Pour longtemps encore,

j. ;

Il se passe beaucoup de choses sur l’île ces temps-ci en effet. Peut-être que tu n’aurais pas du continuer cette correspondance. Je ne pense pas que ces lettres tomberont en de mauvaises mains, mais pour ta sécurité il vaudrait mieux qu’on arrête de se parler non ? Il n’est plus question de bien ou de mal, il est question qu’il y a un tueur ou une, sur l’île. Et tu as peur. Je m’en moque de mon côté. Je ne pense pas avoir la science infuse pour les comprendre, ni l’envie de simplement faire un effort pour concevoir la façon de penser d’un assassin. Je ne pense pas qu’il y ait un schéma pour être honnête. Et tu ne devrais pas t’en mêler. S’il t’arrive quelque chose, ça serait fâcheux. Tu as ta famille ici tu as dit, une partie tout du moins, des gens à qui tu tiens. Ne les inquiète pas en voulant jouer les détectives ou les héros.

Je ne sais pas quoi penser. Tu es vraiment naïf n’est-ce pas. C’est bien parce que d’un côté cela veut dire que l’âme humaine n’est pas si condamnable que ça, qu’il y a des gens à sauver … Et en même temps c’est inquiétant. Je pourrais être le tueur tu sais ? Je pourrais l’être que tu n’en saurais rien. Parce que tu me considères comme une constante dans ta vie. Comme une personne importante ? Ce n’est pas bien. Ne t’attache pas à des mots, à des lettres. Tu finiras par être déçu. Je veux que tu arrêtes de m’écrire. Tant que cette histoire ne sera pas résolue, ne le fais pas. Pense à toi. Sois égoïste pour une fois. On verra si on est encore vivant après tout ça.

Sans aucun doute la dernière fois,

Cher toi,

Je ne sais pas réellement pourquoi je t’envoie ça. En toute sincérité, j’ai comme l’impression que les personnes sur qui je peux compter, à qui je peux me confier deviennent de plus en plus rares. Pas que je perde confiance en eux, mais. Est-ce que tu penses que certaines personnes apportent la mort qu’importe où qu’ils aillent ? C’est l’impression que j’ai. Mon amie la plus proche est morte. Mon ami le plus proche est décédé aussi. Et aucun n’a été à cause de ce tueur à la gâchette. C’était, d’autres personnes. En fait, je sais pas, pour mon amie. Mais mon ami, lui, c’était. J’ai vu son corps avant qu’ils l’emmènent, il était à peine reconnaissable, et. Enfin. Mes frères, mes soeurs. Ceux vers qui tu m’as proposé de me tourner. Ma famille, ceux à qui je tiens. Ils sont tous morts, aussi. Ces derniers jours, tous, les uns après les autres. Trois d’entre eux sont morts dans un genre de combat avec des Autres, je crois. Les Autres ont été puni, mais ce n’est pas assez, ce n’est jamais assez. Un autre a juste disparu, et j’ai beau le chercher, je le trouve pas. Le dernier. Je sais pas ce qu’il s’est passé pour le dernier. Je sais juste que c’est ce Sage qui l’a tué. Je l’ai jamais aimé. Il est violent, trop violent.

J’ai besoin de cette correspondance, s’il te plaît. Répond.
J’en ai besoin parce qu’entre mes amis et ma famille, tu es une des seules constantes de ma vie actuellement. Parce que même mon gang sur qui je comptais, je ne m’y sens plus à ma place. Répond au moins pour que je puisse m’assurer que toi, au moins, tu n’es pas mort. Je t’en pris.

Yours truly,
forever.

j. ;

Je suis désolé.
Les mots ne justifieront pas l’absence je me doute. Mais je suis désolé. Même si je ne suis pas du genre à le dire ? Comment vas-tu ? Est-ce que ça va mieux ? Je ne sais pas consoler les gens, je suis bien trop égoïste pour ça. J’ai coupé court à nos échanges parce que j’ai perdu quelqu’un aussi. Et dans un sens c’est de ma faute. Je n’ai pas su voir ses appels à l’aide. Je n’ai pas su entendre les supplications derrière ses ‘je vais bien’. Je n’ai pas su le sauver. Enterré. Je suis resté quand on l’a mis en terre, et beaucoup m’ont regardé avec dégout, comme s’ils savaient que j’étais responsable dans un sens. Je ne suis pas celui qui a donné les coups non. Mais je suis celui qui n’a pas su le protéger et c’est suffisant n’est-ce pas ?

Le monde retrouve son calme. Le tueur a été arrêté … et il est mort. Je n’ai pas cautionné la façon de faire. J’aurais préféré que la Milice s’en occupe, plutôt que ça devienne un règlement de compte public. Mais encore une fois j’ai eu la preuve de la noirceur de la nature humaine. J’espère juste que tu t’es tenu loin de ça. Que tu n’as pas jeté de pierre à cet homme, même si la vengeance explique bien des gestes. J’espère juste au final que tu vas bien, mieux, un peu comme tout le monde. Que tu fermes les yeux et que tu oublies. Même si j’ai été dans cette histoire, comme tant d’autres, elle ne me marque pas. Pas autant qu’il le faudrait. Parce que j’ai eu mes histoires à régler. Et que mes mains sont sans doute encore plus rouges qu’avant … Mais il le méritait. Tellement.

J’espère qu’au final tu as retrouvé des repères, que tu te sens quand même à ta place quelque part.
Ne te détache pas des autres. Je sais ce que ça fait. Et malgré tout, tu es trop gentil pour supporter ça.

Cher toi,

Je te pensais mort.
Je te pensais vraiment mort. Et ça m'a fait du mal.
Je ne sais pas quoi te dire. Je pense savoir qui tu es, et je n'aime pas ça.
Pas que je n'aime pas qui tu es. Mais tu n'aimes pas qui je suis.

Calme ? Qu'est-ce que c'est ça, le calme ? Est-ce que le calme existe sur cette île ? La paix ? Des concepts qui me tenaient tant à coeur. Qui devraient me tenir encore à coeur, mais que je n'arrive pas à préserver de l'extérieur. Tu es la seule constante dans ma vie actuellement. Ta lettre, je l'ai relu et relu. Je t'ai même observé avec la lettre dans les mains en me demandant comment je n'ai pas pu savoir plus tôt qui tu étais. Et j'ai relu toutes les lettres, et ça me paraît d'une évidence difficile à croire désormais.

J'ai lancé une pierre. Parce qu'il a tué mon frère. Parce que j'avais de la haine et de la colère à revendre. Parce que mon ami me manque, parce que mon amie me manque. Parce que mes frères et soeurs me manquent. Parce que je suis seul. Et que t'avais disparu.

Tu es le seul sur qui je peux encore compter aujourd'hui.
Alors s'il te plaît, reste.
Ou plutôt, reviens.

Yours truly,
forever.

j. ;

J’aurais voulu être mort.
C’est beaucoup plus facile.
J’ai voulu mourir. Mais à croire que le destin est cruel. Personne ne veut m’offrir mon expiation, c’est ma peine. Je dois rester en vie pour tout ceux qui sont morts par ma faute.

Par contre, si tu sais qui je suis. Si tu le sais vraiment.
Fuis. Les rumeurs sur moi sont toutes vraies ou presque.
Si tu sais qui je suis … Ne t’accroche pas à moi.

Même si le jeu devient un peu injuste.
Je n’aime pas qui tu es dis-tu ? Je n’aime pas grand monde. Je ne suis pas fait pour aimer. Et les seules personnes vers qui j’ai montré de l’intérêt elles sont mortes ou brisées. N’est-ce donc pas mieux si je ne t’aime pas ? Même si le fait que tu sois au courant de mon identité et moi non m’ennuie un peu. Mais j’imagine que c’est le jeu. Même si je ne comprends pas pourquoi tu tiens absolument à vouloir continuer cette correspondance.

Tu as lancé une pierre. Tu as montré ton humanité dans un sens. Peut-être que j’essaye de te trouver des excuses. Peut-être. Mais je n’arrive pas à te condamner totalement. Sans doute à cause de ces trois années d’échange. Sans doute. Ne te sens pas coupable. Tu as lancé une pierre. J’ai tué une personne à coup de poing dans ma vie. Et je ne suis même pas hanté par son fantôme. Alors tu vois, tu n’as pas à t’en faire. Tu seras toujours plus innocent que moi.

Admettons.
Que je continue ces lettres.
Est-ce que au final, vu que tu sais qui je suis …
Toi aussi tu ne vas pas finir par te briser ?
C’est à se demander.

Cher toi,

Je n’aurais pas préféré que tu meurs. Tu répètes à qui veut l’entendre, et à moi, que tu n’es pas quelqu’un de bien. Que tu brises les gens qui t’entoures. Mais tu es brisé. Toi. Avant tout. C’est juste que tu as cette façon de diffuser ça sur les autres. Les autres veulent te suivre dans ta folie parce que, je le constate à chaque fois que je te vois, tu donnes envie. On a envie de te suivre, dans cette folie. Celle qui brise. Moi aussi, parfois. Mais je te suis pas totalement parce que je me rattache à Dieu. Parce qu’il m’a fait vivre certaines choses qui m’ont fait du mal, mais que je me rattache à lui quand même d’une certaine manière.

Puis parce que, bien malgré moi, la seule personne à qui je pourrais me rattacher s’il n’était pas là, ce serait toi, Iouri.

Et je sais que ce serait mauvais pour moi. Que ce n’est pas ce qu’il me faut. Et pourtant, pourtant, je t’apprécie, beaucoup. Me demande pas pourquoi, me demande pas comment. Après tout, je pourrais te haïr, tu m’en as donné des raisons. Des bonnes raisons. Mais je peux pas. Peut-être, comme tu le dis, que c’est les trois ans qu’on a passé à discuter. À se connaître réellement. Pas juste ce que je montre, pas juste ce que tu montres.

Tu ne peux pas me demander de ne pas t’accrocher à toi, Iouri. Pas maintenant. Puis, c’est inutile. Je suis déjà attaché à toi. Trop pour me forcer à me décrocher. À toi l’auteur des lettres. Et malgré moi peut-être aussi à toi, Iouri. Ça me blesse, de l’être, pour pleins de raisons qui seront évidentes si un jour tu découvres qui je suis.

Mais pour toutes les révélations et tout ce que j’ai dis dans cette lettre, je ferais tout pour que tu le découvres le plus tard possible.
Ne m’en veux pas.

Yours truly,
forever.

j. ;

Tout serait tellement plus simple si j’étais mort non ? Tu le dis toi même, je suis brisé et cette cassure qu’il y a en moi, je veux la voir chez les autres. Qu’on veuille me suivre dans ma folie est la preuve évidente qu’il faudrait mieux que je ne sois pas en vie. Plus en vie. C’est bien que tu ne veuilles pas me suivre là dedans. Prends du recul. Et peut-être qu’un jour tu arrêteras les lettres parce que tu comprendras que t’attacher à moi d’une manière ou d’autre est néfaste. Funeste.

Ton optimisme te perdra. Tu t’accroches à des mots. Tu t’accroches à une vision du monde faussée par la beauté de quelques lettres. Si je t’ai donné des bonnes raisons de me haïr pourquoi ne le fais-tu donc pas ? Ce n’est pas parce que j’ai l’air sain dans nos échanges que je le suis véritablement. Ce n’est pas parce que je suis capable d’avoir des discussions sensées et d’échanger des propos qu’il faut t’attacher. Je ne suis pas sain. Je ne suis pas quelqu’un de bien. Une personne brisée peut être quelqu’un de bien. Il y en a plein sur l’île. Des gamins qu’on a brisés, que la société a brisés. Des filles qu’on a détruites jour après jour. Des hommes qui ont perdu la foi, qui se sont brisés sur leur religion qui n’a pas su répondre à leur attente. Ce sont des gens biens. Brisés. Mais biens. Mais pas moi. Il y a des choses que je fais sciemment. Je fais du mal volontairement. Ne t’attache pas. Mais … Il est peut-être trop tard en effet. J’espère juste que tu es conscient de ton attachement, de ce qu’il risque de t’apporter.

Je ne te demanderai pas qui tu es.
Si tu tiens à continuer cette correspondance autant que je cherche à deviner par moi-même non ?
En ne sachant pas quand arrivera la prochaine lettre ;

Cher toi,

Désolé,
J’ai mis longtemps à te répondre, il s’est passé certaines choses dans ma vie qui ne m’ont pas permis de répondre plus tôt.
Rien ne serait plus simple si t’étais mort. Ou peut-être que tout le serait. Je sais plus vraiment où commence et où s’arrête ce qu’est censé être simple. Mais je sais pas. Peut-être que ce serait plus simple. Pourtant, je veux pas. Enfin je sais pas. Ça me ferait bizarre que tu meurs, que tu sois plus dans ma vie. Ce serait étrange. Je me suis habitué, maintenant. Puis, je sais pas. Enfin.
Non. Ce serait pas mieux si t’étais mort. Plus simple, peut-être, mais pas mieux.
Je n’arrêterais jamais les lettres. N’as-tu pas encore compris ? Je ne suis pas comme ça. Je ne me lasse pas, je n’abandonne jamais. Je reste fort et debout malgré tout ce qui m’arrive, et c’est pareil ici. Je ne veux pas arrêter les lettres parce que j’ai cet espoir un peu fou que continuer à te parler permettra à ma vie de rester un minimum normale. Un minimum stable. Tu es une des plus grande raison de cette stabilité qu’il me reste dans ma vie actuellement. Et ce qui est ironique c’est que tu es aussi la raison, ou une des raisons pour lesquelles elle m’échappe.

Je ne sais pas si je suis toujours si optimiste. Je le suis forcément moins qu’il y a trois ans.
Mais je m’attache à ces lettres parce qu’elles sont vraies. Parce que tu ne peux pas m’avoir menti pendant trois ans, parce que je n’y croirais pas.
Et je ne te hais pas parce que malgré toutes les raisons que tu m’as donné pour te haïr, et Dieu sait qu’elles sont de plus en plus nombreuses, je ne peux pas.
Je ne pourrais jamais te haïr. Jamais. Et pour être honnête, ça ne m’arrange vraiment pas.

Ne me demande pas.
Ne devine pas.
Ce serait bien, de rester comme ça, crois moi.
Ce serait mieux que tu ne saches jamais.

Yours,
truly forever.

j. ;

Les choses sont faciles pourtant. La simplicité d’une vie, c’est de savoir si on apporte quelque chose. Et ça fait bien longtemps que je n’apporte rien si ce n’est la désolation et la souffrance. J’ai plus le rôle d’un fléau qu’une personne apportant un peu de bonheur aux autres. Tu l’as dit toi-même. Je suis brisé et je veux voir cette brisure chez les autres. Rien que ça, ça prouve que ma vie n’a pas de valeur. Ça serait plus simple si j’étais mort. Sans doute étrange, mais à la fin tu t’habituerais de me savoir absent pour toujours. On s’habitue à tout. Aux abus, à l’horreur, à la douleur. L’être humain a cette capacité d’adaptation fascinante. On s’habitue à tout, je le sais, crois-moi.

C’est assez étonnant de te voir borné à ce point. Tu sais qui je suis. Tu sais que je n’apporte que des problèmes. Toi même tu affirmes que je ne t’aime pas. Et pourtant tu veux continuer. Je ne comprends pas en quoi je peux t’apporter de la stabilité. Ça n’a pas de sens pour moi. Mais je n’ai jamais menti non. Ces lettres sont juste un aspect de ce que je suis. Juste un morceau. Ça ne forme pas un tout. Ce n’est pas suffisant pour croire en quelqu’un. Mais je te le répète, à mon égard, mieux vaut de la haine que de l’affection, mieux vaut de la peur, que de l’attachement, mieux vaut du dégout que de la pitié.

Mais continuons vu que tu insistes.
Continuons jusqu’au jour où je te donnerai vraiment une raison de me maudire.
Comme les autres.

Cher toi,

J’avais promis de pas m’éloigner, et je tiens toujours mes promesses. Ça m’a pris du temps pour revenir. Et pour être honnête, je suis pas sûr de pourquoi je suis revenu. Mais aussi cliché que ce soit, j’ai pas envie de perdre cette normalité que tes lettres me font vivre à chaque fois que je les reçoit. Pas quand ma vie est totalement en train de partir en vrille.
Pour rebondir sur ce que tu disais, c’est déprimant cette façon que tu as, de penser. Tu devrais essayer d’apporter de la joie avant de penser que tu ne peux qu’apporter désolation et briser les gens. Oh, je suis parfaitement bien placé pour savoir que tu le fais très bien. Mais crois moi ou non, tu ne fais pas que briser les gens. Tu les renforces aussi. C’est hypocrite de ta part de te contenter de ça alors que je suis certain que tu pourrais faire du bien autour de toi. Tout le monde peut. T’essayes pas. T’essayes pas parce que t’es confortement installé dans cette routine où tu te fais taper dessus en échange de rendre les gens fous, en échange de vies brisées. Tu pourrais faire autrement, mais t’essayes pas, c’est ça le problème. T’as déjà essayé ? J’ai longtemps hésité à écrire ce qui va venir, mais j’ai fini par me dire qu’il fallait que t’ouvres les yeux sur quelque chose. Le monstre, c’est pas toi. Les monstres, c’est eux. Les monstres c’est ceux qui te cognent dessus. Les monstres, c’est ceux qui prennent des vies en frappant parce que c’est ça, qui le excitent. Je veux bien croire que la violence t’excite. Mais t’es pas un monstre pour ça. Parce que toi, tu tuerais pas quelqu’un juste pour le plaisir. Tu. Quelque chose me dit que tu pourrais pas forcer quelqu’un à faire ce qu’il ne veut pas juste pour ton plaisir personnel. Ose me dire que je me trompe.

Je suis borné parce que tu le mérites. Puis parce que je suis borné de nature. Toute ma vie, j’ai été borné. Toute ma vie j’ai cru en Dieu et j’y crois toujours malgré toutes les merdes qui me sont arrivées récemment. Je sais que tu ne ments pas dans les lettres. Et même si elles ne sont qu’une partie infime de toi, ça me suffit. C’est cette partie de là à laquelle je m’attache. Cette partie de toi que j’apprécie. Et celle à laquelle je me retiens en me disant que juste, si tu essayais, si tu faisais plus confiance aux gens qui t’entourent, si tu apprenais à ouvrir les yeux sur ce qu’est le monde en réalité. Pas un monde sombre comme tu le penses, pas un monde lumineux comme je le pensais. Juste un monde gris, avec des monstres, et des gens biens. Tu verrais que tu fais pas partie de cette première catégorie.

Des raisons pour te maudire, Iouri, tu m’en as donné.
Et je t’ai maudit, plusieurs fois. Et Dieu me prenne en témoin, ça veut dire quelque chose pour moi. J’ai souhaité que tu finisses en Enfer, que plus jamais tes pas ne croisent les miens.
Puis je me suis souvenu que t’étais Y aussi. Et je ne peux pas te maudire.
Je peux pas.

Yours,
truly forever.

j. ;

Tu avais promis de ne pas t’éloigner et c’est moi au final qui me suis éloigné. Je suis fatigué. De tout. Il y a des moments plus difficiles que d’autres. Je n’avais juste pas envie de me réveiller. Juste pas envie de continuer cette routine. Me lever, me faire détester, ils ont de quoi, enchainer les clients pour éviter que des putains d’âmes innocentes ne subissent trop de violence qu’ils n’ont pas méritée, trainer ma carcasse. Recommencer. Ta vie est partie en vrille ? Laisse moi rire. Tu es en vie. Tu as un contrôle sur ta vie. J’ai cessé d’avoir le contrôle sur la mienne il y a bien longtemps. Je l’offre à tour de bras dans des draps sales. Viens me voir un jour. Tu pourras t’amuser si tu veux. Mais tu n’aurais pas du continuer ces lettres. Tu ne devrais pas même. Je ne vois pas ce que ça peut apporter à ta normalité mais qu’importe.

Apporter de la joie ? Vraiment. Tu dis me connaître mais cet optimisme me donne envie de vomir. Il n’y a aucune joie chez moi. Aucun sentiment bienveillant. Mon père avait raison. Il a toujours eu raison. Il y a un monstre hurlant à l’intérieur de moi. Pas d’âme pure, rien. Rappelle-toi d’une de nos discussions, si le corps est pur mais l’âme damnée, le corps finira par noircir. Déjà gamin j’avais ce mal en moi. Donc vraiment ce n’est pas la joie que j’apporte, mais la désolation. Alors tu devrais partir comme tous les autres. Tu devrais t’éloigner. Ça serait plus simple. Et pour répondre à ta question. Non j’ai pas envie. De faire le bien. J’ai pas envie. Parce que ça marche pas comme ça. Tout le monde peut le faire. Bien sûr que non. Il y a des gens qui sont mauvais, grandis un peu, sors de ta bulle. Il y a des gens qui sont foncièrement mauvais. Je fais parti de cette catégorie et tu le sais.

J’ai déjà tué.
Plusieurs fois.
Et ça m’a fait un bien fou.
Je tue pour le plaisir.

Désolé de gâcher ta vision héroïque de moi. Je suis pas la victime. Non. Le méchant dans l’histoire c’est moi. Point final à la ligne. Je ne mérite ni pardon, ni grâce divine. Dieu m’a abandonné depuis longtemps. S’il existe c’est une putain d’enflure qui a toujours pris ce qu’il y avait de beau dans la vie pour les ramener à lui comme un putain de mec possessif et qui laisse les gens biens souffrir entre les mains d’ignominies comme moi. Je ne veux avoir confiance en personne. Je ne veux aimer personne. Je veux juste qu’on me donne un coup de couteau dans le ventre. Qu’on m’asphyxie. Qu’on m’achève.

Continue de me maudire.
Ça vaut mieux pour tout le monde.