L'île, il avait aucune envie d'y aller, d'ailleurs il n'en a même pas retenu le vrai nom, c'est dire. Le fait est que sa première expérience en prison l'a purement et simplement traumatisé, et qu'il était absolument hors de question d'y passer les six ans auxquels on l'avait condamné. Alors, il a choisi cette alternative. Au début, ça n'a pas été la joie ; il n'avait envie de se mêler à personne, ruminer dans son coin pour les dix prochaines années lui semblait une perspective bien plus enviable que d'être mêlé à la vermine criminelle avec laquelle il avait été exilé, et à laquelle il refusait d'être associé en dépit de ses activités. L'ennui avec cette perspective, c'est qu'elle le privait de weed, alors il a vite - très vite - revu ses plans. Convaincu de rejoindre le gang des Sages par l'un d'entre eux, il n'avait d'abord aucune intention de s'y investir mais, influencé par son entourage, il a fini par mettre de côté sa rancœur envers le monde entier pour essayer de s'intéresser d'un peu plus près à ce que cette nouvelle vie avait à lui offrir. Depuis, sans dire qu'il est un philosophe accompli comme le préconise l'idéologie de son gang, on peut reconnaître qu'il est un membre à part entière de cette étrange société.

Pour la weed. Sans détour et simplement. Autant dire qu'il est resté padawan un moment, alors, et que sa soi-disant vocation à devenir un Sage a été reçue avec une certaine perplexité, pour la simple et bonne raison que lui-même n'aurait jamais imaginé avoir sa place parmi eux. Il a franchement envisagé renoncer d'ailleurs, dans la mesure où se fournir en matériel ne l'obligeait en aucun cas à rejoindre ces philosophes avec lesquelles il imaginait n'avoir rien en commun. Pourtant, après quelques semaines passées aux côtés des autres aspirants, il s'est surpris un soir, à moitié affalé sur un divan en compagnie de l'un d'entre eux, à refaire le monde en souriant, entouré d'un halo de fumée bienfaisant. Alors il s'est rappelé qu'il aimait ça, avant, parler, raconter aussi, imaginer surtout. Et que ça lui manquait, d'avoir des gens avec qui faire tout ça. Fait rare s'il en était un à l'époque, il s'est mis à réfléchir au sens de sa vie partie à la dérive, à ce qu'il pouvait en attendre désormais et, surtout, à ce qu'il lui faudrait faire pour y parvenir. Rien d'insurmontable, lui a-t-il semblé. C'est comme ça qu'il a commencé à s'investir, et la reconnaissance qu'il a reçue à ce moment-là lui a fait tellement de bien qu'il a très vite cherché à en avoir plus, à montrer à ses instructeurs, et sans doute aussi à lui-même, qu'il était capable de faire quelque chose de bien, contrairement à ce dont il avait fini par se convaincre. Les Sages, alors, c'est devenu autre chose qu'un clan ; quelque part, ils compensent un peu la famille qu'il a laissée, ou du moins c'est ce qu'il attend d'eux, plus ou moins consciemment. Dès lors, il n'y a plus grand chose dont il ne serait pas capable pour prouver qu'il mérite d'en faire partie.

De rêve à lui ? Est-ce qu'il en avait vraiment un ? Il ne sait pas, en fait c'était le genre de questions qu'il ne se posait pas avant, Isma. Il s'occupait de ses frères et sœurs, ou en tout cas il essayait, à sa façon. Le plus bel accomplissement qu'il espérait alors, c'était un peu de joie sur leurs visages, un peu de reconnaissance, même si c'était celle de gamins. C'était étrange, ce sentiment qu'ils lui donnaient quand ils le regardaient presque comme leur idole ; d'un côté il se sentait profondément fier, et de l'autre totalement mort de peur, parce qu'il n'était pas sûr de pouvoir assumer cette responsabilité. De modèle, il n'en a pas vraiment eu, lui, alors il ne pouvait se référer à personne, il n'avait pas de point de repère, même s'il aurait dû. Sa grande sœur, il s'en souvient à peine, elle a quitté la maison quand il n'était qu'un gamin, et malgré ses efforts, il n'a jamais pu la retrouver. Ce n'est pas faute d'avoir essayé ; peut-être que c'était ça son rêve, d'ailleurs. Un truc qu'il aurait voulu, par-dessus tout, et uniquement pour lui. La retrouver. Maintenant, il n'en aura sûrement plus l'occasion mais, depuis le temps, il s'est fait une raison.