Il y a des habitudes mauvaises. Celles sur lesquelles Iouri ferment les yeux parfois. Ne veut pas penser. Surtout quand elles ne sont pas les siennes. Brin d’égoïsme. Il ne se soucie guère des habitudes de ses clients. Les noms souvent oubliés, les soirées comme d’autres. Rien pour se rappeler, si ce n’est des traces sur corps. Séries d’hématomes qui à force ne partent plus et s’incrustent comme des fleurs qui se refusent à faner. Rien pour se rappeler d’eux. Sauf ceux qui reviennent. Il y en a qui lui envoient toujours des missives, le besoin de le savoir disponible. De le savoir à eux ne serait-ce qu’un moment. Et il y en a d’autres. Comme Shanti. Qui débarquent sans prévenir. La porte qui claque et Iouri dans les issues de son dernier client. Le sourcil qui se hausse et la chemise qu’il remonte sur son épaule. Aucunement un geste du pudeur. Il n’y a rien à cacher ici. Rien. Le Styx ne ment pas sur ce qu’il se passe dans ses allées. Et Iouri est une muse. Pas comme les autres, mais avant tout une muse. Le job reste le même. Étancher les pulsions, les envies de ses clients. Qu’importe ce qu’elles sont. Il ne fait pas dans la dentelle. Le regard qui passe de l’homme à la bouteille et les épaules qui se crispent légèrement. Il ne dit rien non. Mais parfois Shanti il a des réflexes qui lui rappellent son père. Parfois Shanti il a cette violence dans son alcool qui le ramène loin, si loin. Iouri qui ne s’évadera jamais de ce cercle vicieux.  Silhouette gracile même si abimée, il n’a pas le temps de se lever, de s’avancer vers lui que son dos rencontre le mur avec violence. Et la ressemblance se brise là. Parce que le géniteur frappe. Mais jamais il ne posera sa main sur lui ainsi. Non. Baiser qu’il laisse son client dominer, il ne peut que sourire en le voyant empressé, presque désespéré. « What’s the matter uh? Kapudia? So nervous, it seems you won’t even be able to do me properly at this rhythm. » Sarcasme amer entre ses lèvres, il ne veut pas se rappeler des noms de ses clients, de leurs visages. Mais les habitudes et comment il doit agir … C’est un automatisme affligeant. Cette capacité à savoir ce qui peut insupporter ou plaire, juste pour mener le jeu. Juste pour porter la violence à son paroxysme.

Shanti c’est l’un de ses réguliers. Un de ceux où il se rappelle du nom, du visage, des habitudes. Même s’il n’a pas envie Iouri. Il ne cherche que de la violence entre les mains de ses clients. Il ne cherche qu’à se sentir en vie à travers leurs coups, leurs mots, leur haine aussi. Gamin détraqué. Et les rumeurs toujours là, toujours présentes, toujours si proches de la réalité. On l’a même supposé criminel il fut un temps. Le tueur, celui qui avait l’arme à feu. Mais les mots se sont tus, et le reste de ce qu’on dit sur lui a repris le dessus. Qu’il a besoin qu’on lui fasse mal. Vrai. Qu’il a besoin de violence. Vrai. Qu’il ne connaît rien d’autre. Vrai. Qu’il ne peut vivre sans. Vrai. Iouri qui se laisse détruire entre les mains des autres. Qui se laissent aller à leurs pulsions. Comme celles de Shanti. Et il sait très bien ce qui l’anime. L’alcool qui coule dans ses veines. Il connaît son attitude, l’image du père qui le fait frissonner même s’il voudrait se sentir anesthésié, amorphe et ne plus craindre cet homme. Parti et pourtant toujours là. Si bien qu’il l’a vu un instant chez l’alchimiste. Assez pour lui faire perdre juste un moment le cours de la situation et pour se retrouver plaqué contre le mur. Une bouche vorace contre la sienne et un commentaire acide entre ses lèvres. Shanti qui semble désespéré. Trop. Du sarcasme entre ses lèvres. Et une morsure à l’orée de sa gorge. « Of course, kinda pitiful tho. » Et l’attaque est gratuite. Parce qu’il a vu les larmes au coin de ses yeux, et qu’il abuse des faiblesses des autres. Mais ses mots avalés de nouveau contre les lèvres de l’alchimiste. Soupir doux qui ne colle pas avec ses mains qui viennent se caler derrière sa nuque, ongles plantés dans la peau fine à cet endroit. Et il sourit. Tordu. Il sourit lorsqu’il sent le goût du sang, le sien dans sa bouche. Lèvre malmenée. Et le corps offert. À ses baisers. À ses morsures. À ces traces qui en couvrent d’autres, à ces envies qui habitent Shanti. Et Iouri qui laisse tomber sciemment l’un des pans de sa chemise. Épaule dénudée de même que le haut du corps. « Care to take me to bed? Or are we really going to fuck like animals? You look like a horny dog tho. » Il le cherche Iouri. Les mots assassins, acides entre ses lèvres. Il veut le voir perdre le contrôle. Céder à ses pulsions. Il est là pour ça après tout. Et plus que la bouteille qui traine dans la chambre, c’est d’être malmené entre les mains de l’alchimiste qu’il désire. Ce besoin évident d’être détruit, saccagé sous ses pulsions de violence.

Shanti c’est le genre de clients qu’on lui propose toujours à reculons, à tâtons. Parce qu’il n’est pas forcément violent de base. Non. Il a juste des pulsions. C’est quelque chose qu’il ne contrôle pas. Mais lorsqu’on l’a laissé entre ses mains l’enjeu était clair. Si une Muse doit souffrir de ces pulsions abjectes, que ce soit Iouri. Il est là pour ça. Les autres muses ne doivent pas souffrir. Ne doivent jamais arborer les traces qu’Arès affiche presque avec fierté. Ces bleus, ces hématomes, ces fleurs qui semblent éternellement fleurir sur sa peau diaphane. Et Iouri il n’a pas rechigné. Comme si. Il a besoin de souffrir, de faire du mal. Et sans doute que dans un sens Shanti il a le même type de monstre que Iouri a en lui. Celui que son père a cherché à faire partir en le battant encore et encore. Ce type de monstre là qui ronge de l’intérieur. Celui qu’on ne discerne plus vraiment au final. Parce que le monstre c’est lui. C’est Shanti. Et il le cherche. Il le cherche Iouri, dans ses mots dans son attitude. Juste parce qu’il veut qu’il cède à ses pulsions. Il n’est pas là pour compatir avec l’alchimiste. Pas là pour le regarder se briser, des larmes au coin de ses yeux. Non. Il est là pour que la bête puisse surgir, pour que ce qu’il y a de sombre au fond de lui puisse prendre le contrôle. C’est ce qu’il veut Iouri. C’est un gémissement qui s’échappe lorsque sa lèvre est mordue au sang, c’est un sourire tordu qui prend place sur ses lèvres. C’est ses ongles aussi au niveau de sa nuque, et un geignement quand sa peau est marquée de nouveau. C’est ça. C’est ça qu’il veut. Et il le cherche Iouri, paroles assassines, la comparaison de son compagnon du jour avec un chien en rut. Il n’en est pas loin à ses yeux. Supplications pathétiques et ce besoin de l’avoir sous lui, d’avoir son corps à disposition. Non vraiment pas loin. Et il est presque comme une poupée de chiffon entre ses doigts, Iouri. Se laisse trainer jusqu’au lit, grognement rauque quand son dos rencontre le matelas de bonne fortune. Presque docile. Mais le corps s’arque sous ses actions, l’envie de bouger, de libérer ses bras. Jusqu’à sa remarque. Ces quelques mots qui avaient suffi à le figer. Juste un instant. Un cours instant avant que son rire, rauque, amer ne s’échappe de ses lèvres rougies. « I don’t think so fucker. I’m nobody’s. And certainly not yours. » Personne ne pouvait se targuer d’avoir Iouri en sa possession. Personne. Créature qu’on ne sait enchainer, Iouri qui ne s’offre jamais vraiment. Non. Et surtout pas à ses clients. Rictus qui tort son visage, son genoux qui remonte pour un coup au niveau du ventre. C’est juste assez pour lui couper le souffle, juste assez pour que ses mains se desserrent au niveau de ses bras. « Fuck off. » Il n’est pas question de s’échapper ou de partir. Il est question de réveiller le monstre chez Shanti. Il est question de montrer qui dirige au final. Et même si à la fin, Shanti arrive à faire ce qu’il veut de Iouri, c’est jamais sans une bataille, jamais sans qu’il ne se débatte, qu’il ne se refuse. Parce qu’au final, y’a de ça dans ce que veut Shanti lorsqu’il vient le voir. Il y a cette envie de posséder Iouri, de le violenter, de l’abuser. Pas qu’il se laisse faire. « No one had been able to possess me boy. And clearly you don’t have anything for. »