Paris 12 décembre.
Tu es née huit minutes avant ta jumelle Carmen. Premières enfants de vos parents, vous êtes le fruit d'un amour sincère. Sept ans plus tard un petit frère, Esteban, a agrandit votre famille.

Entourée par ta famille, vous êtes heureux. Vous avez de la chance d'avoir des parents qui s'aiment encore comme au premier jour. Bon on va pas se mentir, il y a parfois quelques disputes, mais rien qui ne brise votre famille.

Contrairement à toi, ta jumelle sait ce qu'elle voulait faire de sa vie. Elle veut devenir politicienne afin de changer le monde. Toi tu hésites entre actrice, chanteuse, styliste, mannequin, photographe, fromagère, princesse exploratrice, astronaute. Tu as même voulu devenir cracheuse de feu et pirate.

Elle est toujours sérieuse Carmen. Et toi pas assez. Elle a les pieds sur terre et toi la tête en plein dans les nuages. Tu ne comptes plus le nombre de fois où vous vous êtes prises la tête à ce sujet. Et à chaque fois, vous vous réconciliez tout aussi rapidement. Vous faire la gueule plus d'une heure est impossible pour vous.

À douze ans, tu tombes éperdument amoureuse du plus beau garçon du collège. Selon toi. Pour ta soeur, il ne ressemble à rien. Ce garçon est en troisième, contrairement au minus de ta classe, il est un homme, un vrai. A ce qu'il paraît, il embrasse comme un dieu.

tu as l'intention de lui déclarer ta flamme. Tu t'es entraînée devant ton miroir. Pour être au top niveau, tu as même mis du gloss. Tu as lu dans un magasine que les garçons aiment bien les poitrines généreuse. Tu n'es pas encore gâtée de ce côté là pour le moment. Bien évidemment, ta mère refuse la chirurgie esthétique que tu lui demande pour augmenter tes boobs. Qu'a cela ne tienne ! Tu décides de tricher, en mettant des chaussettes dans ta brassière. Tu abuses sur la quantité. Mais faut ce qu'il faut ! À la guerre comme à la guerre !

Tu le remarque dans le couloir. Tu as des papillons dans le ventre et des étoiles plein les yeux. Ta jumelle, a qui tu n'a pas laissé le choix de venir, pour te soutenir, est là à tes côtés. Elle te dis d'arrêter tes bêtises. Que tu es ridicule et que vous allez vous faire punir. Tu ne l'entends pas de cette oreille.

Il passe devant toi...

Et il ne s'arrête pas...

Ton coeur se brise en mille morceaux quand tu le vois embrasser cette élève de troisième.

Tu as douze ans et tu connais ton premier chagrin d'amour. Ton monde s'écroule. Tu veux mourir. Tu tentes de mettre fin à tes jours en avalant des comprimés de somnifères, piqués dans la pharmacie de la maison. À l'hôpital tu subis un lavage d'estomac.

Tu as fini par choisir ta voie. Tu comptes devenir styliste et habiller les plus grandes célébrités à la mode. Ta soeur as réussi à obtenir une bourses pour aller dans une université prestigieuse au Etats-Unis. Tu n'as pas été surprise. Pour toi, elle est la meilleure. Elle va réussir ses objectifs avec succès.

Chaque week-end, vous vous retrouver sur Skype, à parler pendant des heures et des heures. Tu lui racontes tes derniers amours, tes dernières fêtes. Tu lui demandes quand est ce qu'elle va sortir le nez de ses bouquins. Elle te demande quand est-ce que tu va devenir plus sérieuse.

Fous moi la paix et décoinces-toi !

Ce sont les dernières paroles qu'elle a entendu de toi a son égard. Des mots sortis lors d'une énième dispute. La toute dernière.

Tu ne comprends pas pourquoi elle ne répond plus à tes appels. Pourquoi, elle ne répond pas à tes sms. Pourquoi son Skype est sur déconnecté depuis tout ce temps. Plus d'un mois sans nouvelles. Jamais elle ne t'a fait la gueule pendant aussi longtemps.

En voyant le visage livide de ton père. En voyant ta mère s'effondrer, tu as compris.

Ta soeur est morte.

Kidnappée. Séquestrée. Violée. Assassinée.

Quel monstre pouvait donc avoir fait une telle horreur ? C'était ignoble. Cruel. Sadique.

Au procès, tu as gravé dans ta mémoire le visage du coupable : Hayato Uchida. Pourquoi avait-il commis une telle horreur ? Est-ce parce qu'elle avait refusé de sortir avec lui ? Par jalousie ? Ce garçon avait brisé une famille. Ta famille.

Tu es morte avec elle.

Tu es retournée en France après le procès. Tu n'as plus envie de rien. Juste d'oublier. Tu veux la rejoindre. La lame du rasoir, tranche tes veines. Tu te réveilles une fois de plus à l'hôpital. Tu as eu beaucoup de chance selon le médecin. Aucune selon toi.

Ils ne comprennent pas ta souffrance. Ils ne savent pas ce que ça fait que de perdre la moitié de soi. Ils sont là à te parler de psy, à te conseiller d'en parler à un professionnel. C'est pas ce que tu veux. Tu veux juste la rejoindre où elle est. Tu décroches complètement de tes études.

Tu te laisses aller complètement à la dérive.

Tu enchaînes les fêtes pour oublier ta souffrance. Tu vides les verres à une vitesse impressionnante. Rapidement ce n'est plus assez pour toi. Tu plonges dans la drogue. Quand tu es défoncée, tu ne penses plus à rien. Tu t'es éloignée de ta propre famille.

Tu l'as rencontré au cours d'une soirée défonce dans un squat remplis de junkies en tout genre. Tu te rappelles pas d'une bonne partie de la soirée. Vous auriez pu en rester là, à une simple rencontre hasardeuse.

Le destin en a décidé autrement, à plusieurs reprises vous vous êtes retrouvés dans les même soirées. Vous étiez tous deux des êtres perdus. Votre refuge : les soirées dans lesquelles vous finissez la tête à l'envers. Parfois, jusqu'au black-out.

Tu ne sais plus comment vous êtes arrivés dans cette soirée dans un quartier parisien prestigieux. Ni lequel d'entre vous deux a eu l'idée d'emprunter la voiture de l'hôte pour vous faire un road trip improvisé.

Tu es complètement bourrée et défoncée. Lui, n'est pas dans un état plus sensé. Tu conduis à une vitesse déraisonnable. Le code de la route, tu l'as complètement occulté. Musique à fond dans la voiture. Tu ne sais pas où tu vas. Vous n'avez pas prévu de destination.

La collision. Le choc.

La voiture d'en face n'est plus qu'une carcasse.

Tu es terrifiée. Vous êtes perdus si on vous chope. Avec tout ce que vous avez dans le sang, vous n'avez aucune possibilité de vous en sortir. Tu entends les hurlements d'une femme.

- Putain ! Qu'est ce qu'on fait ?

Tu es paniquée. La femme crie de les aider. De sauver son fils. Ses hurlements te déchirent le coeur.

Fuir.

Vous n'avez pas le choix. Avec tout ce que vous avez dans le sang vous êtes perdus si on vous trouve ici. Vous devez vous débarrasser de cette voiture. Tu ne sais même pas où vous êtes.

Les policiers n'ont pas mis longtemps avant de vous retrouver. Il a suffit d'un simple contrôle routier.

- Papiers du véhicule !

Fuck ! Vous êtes dans la merde. Ils vous demandent de sortir de la voiture.

- Tu sais on peux toujours s'arranger. J'ai toujours rêver de me taper un condé. On a qu'a le faire là. Je peux même tailler une pipe à ton collègue pendant que tu me baises. T'as envie hein ?

Aucun des deux policiers n'a envie. Et à raison. Il te demande de souffler dans l'ethylotest.

- Et si je refuse, tu vas faire quoi connard ?

Tu aggraves ton cas. Tu as fini par souffler dans le ballon. Non sans lui avoir cracher à la gueule. Tu dois t'y reprendre à plusieurs fois. Ça te fais marrer comme une guedin. Les flics ont retrouvé les produits stupéfiants dans vos affaires. Tu te mélanges les pinceaux dans le mensonge que tu essayes de sortir. Tu vas même jusqu'à prétendre que tu as confondu la coke avec du sucre pour faire des biscuits.

- Vous êtes en état d'arrestation.

Toute cette partie de cette soirée, n'est que brouillard dans ton esprit. Tu ne te souviens de rien.

On t'annonce qu'ils ont retrouvé les traces de la voiture dans laquelle vous étiez sur le pare-choc de celle que vous avez percutée. Un témoin vous a vu prendre la fuite. Les prises de sang sont formelles en ce qui concernent ta consommation d'alcool et d'opiacées.

Vous êtes fait comme des rats.

Tu vomis tes tripes quand le policier t'annonce que la femme dans la voiture était enceinte de quatre mois.

Tu as brisé une famille entière.

Au procès, tu n'arrives pas à supporter les regards sur toi. Ces regards remplis de haine que te lancent les proches des victimes. Mais ils ne sont rien comparés à ce que tu ressens à ton égard. Tu n'arrives pas à supporter la tristesse dans celui de ton père.

- Je n'ai pas été un bon père. Je n'ai pas su vous protéger ta soeur et toi.

C'est faux. Complètement faux. Tu t'effondres dans ses bras. Ta mère te serre tout contre elle.

- Vous direz à Esteban que je l'aime.

C'est la dernière fois que tu vois ta famille.