Une seconde sans toi, et la vie s'écroule.
Chapitre un.Tourner toujours dans le même sens, la même routine, les mêmes lieux. Orphelins ensemble, main dans la main dans cette ronde éternelle. Tu avais sept ans que votre mère est morte. Père inconnu, vous vous êtes retrouvés seuls, à deux. Enfant devant s'occuper d'un autre, tu étais le responsable de votre ventre, de votre sommeil, de votre santé. Ta petite sœur comptait sur toi, il fallait vous nourrir, plus que ça, il fallait survivre. Vivre dehors, la rue était votre maison, votre toit. Pour manger il fallait voler. Quelques pièces ici, un morceau de viande par là, des habits séchant sur les cordes à linges. Remplit de poussières, votre visage camouflé par la saleté, vous n'aviez plus d'odeur, sauf celle de la rue, de la crasse.
Et comme un ange gardien, un protecteur est arrivé. Il vous a sortis de la misère pour vous en offrir une autre. Il a vite perdu son auréole et ses ailes, dévoilant des dents aiguisées et des cornes de diable. Mendier contre un logis, ramener de l'argent contre un matelas. Aujourd'hui tu comprends que vous étiez dans un trafic d'enfant, ta sœur et toi, victimes ensembles.
L'Orphelinat, le nom utilisé pour l'endroit où vous viviez, mais qui n'en était pas un. Juste un grand logis où plusieurs enfants s'entassaient, se piétinaient. Pas assez grands pour tous, il fallait se battre pour espérer avoir une couverture. Et les missions, c'était le pire. L'innocence candeur de votre jeune âge, vous étiez les parfaits appâts. Tantôt mendiant dans les rues, tantôt kidnappeur, vous attiriez les autres enfants, prétextant vouloir jouer avec eux, loins de leur parents, pour faciliter aux plus grands de les endormir et de les entasser dans un camion pour les mener dans leur nouveau foyer, chez toi. Des nouveaux frères et sœurs capturés. Quant la pêche était mauvaise, les punitions tombaient. Coups de matraque, mutilations, parfois démembrements. Plusieurs enfants se sont fait crever les yeux car ils ne rapportaient pas assez d'argent en mendiant, et que les minots aveugles font plus de peine, rapporte plus. Toi, tu as toujours évité de recevoir de grosses punitions irréversibles, simplement des coups, parfois des entailles de couteaux. Et tu prenais tous, hors de question que ta sœur subisse tout ça. Quand la récolte était misérable, tu lui donnais ton butin pour qu'elle s'en sorte, passe pour une bonne élève, et toi tu te faisais tabasser, mais au moins ta sœur n'était pas abîmée.
Mais voilà, vous grandissiez. De huit ans, tu es passé à douze, et ta sœur aussi poussait. Joliment, l'une des plus belles de l’Orphelinat, une fleur parmi les épines crasseuses. Et malheureusement, tu n'étais pas le seul à t'en apercevoir. Votre
protecteur aussi, il voyait en elle un gagne-pain autre que celui de la rue. Un corps comme le sien, il voulait en profiter et en faire profiter contre de l'argent. Et lorsque tu as compris qu'il allait prostituer ta sœur, tu as vrillé. Le soir même les chiens vous poursuivez, prêt à vous bouffer. La forêt était lugubre, mais vous couriez aussi vite que vos jambes d'enfants vous le permettez. La fuite était la seule solution pour éviter que ta sœur ne soit souillée.
Chapitre deux.Ce fut compliqué. Une fois à l'abri dans un train, vous vous dirigiez vers une destination inconnue, mais loin du danger. Seuls, des enfants perdus, vous pouviez comptez l'un sur l'autre. Mais c'était encore des rudes épreuves qui vous attendez. Vous n'étiez que des gamins, mais vous aviez l'expérience de la vie. Pendant des jours, des semaines, peut-être des mois, vous vagabondiez de train en train, toujours en fraude, mais vous vous en fichiez. Puis un jour, vous êtes arrivé au New Delhi. C'était très différent du Bombay que vous connaissiez. Tu avais maintenant treize ans, et sur le quai de la gare tu as vu un ange, et tu n'as plus jamais voulu quitter cet endroit, pas sans
elle.
Chapitre trois.Elle portait le doux prénom de Gabriella, elle avait déjà quinze ans. Belle, grande, magnifique, tu es de suite tombée fou amoureux. Mais elle t'était inaccessible, bien trop précieuse pour un pouilleux comme toi. Et pourtant, tu n'as rien lâché. Tous les jours tu allais à sa rencontre, tu savais où elle étudiait, et tu l'attendais, lui offrant des sourires où des fleurs qui tu ramassais. Et Gabriella s'est toujours montrée gentille avec toi, toujours respectueuse. Une fleur aussi belle que ta sœur, aussi unique. D'ailleurs, tu ne quittais pas ta sœur, toujours ensemble, mais maintenant qu'elle était adolescente aussi, tu te permettais de la laisser faire sa vie. Toi, tu faisais la tienne, passant tes journées à attendre un geste de celle qui faisait battre ton cœur.
Tu avais seize ans quand elle fut tienne. Elle avait défiée les interdictions de sa famille pour s'enfuir avec toi et ta sœur. Elle avait quitté la richesse d'une vie toute tracée et confortable contre la misère, et l'amour. Elle était majeur, alors avec elle c'était bien plus facile de voyager, de parcourir les routes. Et en quelques semaines seulement, vous appreniez que vous alliez bientôt être quatre dans vos aventures. Un enfant s'occupe d'enfant, tu connaissais déjà. Tu n'avais pas peur, et tu voyais le ventre de Gabriella s'arrondir de jour en jour.
Chapitre quatre.Salim, ton rayon de soleil. Vous étiez une famille peu commune, mais vous étiez heureux. Ta sœur et Gabriella étaient soudées, et avec Salim, tu transpirais le bonheur dans la misère. Ce n'était pas une partie de plaisir, sans logement fixe, vous continuez à vagabonder de partout, et avec un nourrisson sur les bras, c'était compliqué, très compliqué. Mais finalement, après plusieurs mois d’errance, vous veniez de trouver un endroit rien qu'à vous. Tu avais réussi à dégoter un boulot, certes ce n'était pas le rêve, mais c'était beaucoup plus stage que de voler ici et là, et surtout que maintenant que vous étiez une vraie famille, tu ne voulais plus prendre le risque de te faire choper pour des conneries.
Et le temps passa, les années défilèrent doucement. Tu avais vingt ans, ton fils quatre. Un adorable garçon remplit d'énergie. Ta sœur, sa tante, le gâtée comme elle pouvait, adorant prendre soin de lui. Les temps étaient durs, depuis toujours d'ailleurs, mais vous étiez tous en bonne santé et solidaire ensemble, alors tous les obstacles pouvaient être surmontés.
Mais une journée, tout changea. Beaucoup de manifestants défilés dans les rues depuis des semaines, des gens violents, protestants contre les musulmans. Il était devenu dangereux de sortir dehors, sous peine de se faire caillasser, piétiner, tuer. Mais le vie fait parfois que nous n'avons pas le choix, et vous vous étiez tous retrouvé dans la rue, essayant de regagner votre appartement en évitant la foule de manifestants. Mais eux, vous avaient vous. Avaiant vu d'autre personne, et une émeute commença. Tout ce passa très vite, trop vite. Tu perdis toute ta vie en l'espace de quelques minutes. D'abord Gabriella, qui se fit emporter. Tu fus impuissant, tu avais Salim dans les bras, ta sœur derrière toi qui te retenait de toute ses forces parce que de toute façon, tu ne pouvais rien faire, le premier coup à la tête lui fut fatal, et elle tomba raide morte sur le sol tandis que les manifestants continuaient de l'asséner de coups.
« GABRIELLA ! GABRIELLA ! » Hurlais-tu à en cracher tes poumons.
Et ta sœur te tirait, pleurante, tremblante. Elle te criait qu'il fallait partir, s'enfuir. Qu'il était trop tard pour elle, mais que vous, vous pouviez vous en sortir, qu'il fallait penser à l'enfant, à Salim. Mais comment abandonner à son sort l'amour de ta vie ? Alors tu t'es tourné vers ta sœur, vous aviez tous les deux les joues humides de larmes, et tu lui as confié ton fils.
« Récupère le plus d'affaires possible à la maison, et prend le premier train pour Bangalore, je vous retrouverais la-bas, avec Gabriella ! »Tu ne pouvais te résoudre à la laisser derrière vous. Malgré les protestations de ta sœur, malgré ses supplications, tu embrasses ton fils, tu l'embrassas elle, et tu te mêlas à la foule, quittant des yeux deux des personnes que tu aimais le plus, n'imaginant pas un instant que tu ne les reverrais plus.
Chapitre cinq.Tu fus arrêté, pris pour l'un des leurs. Un manifestant, un tueur. Pourtant le sang n'a jamais coulé de tes mains, tu t'es contenté de frapper encore et encore ceux qui avaient prit la vie de Gabriella. Et quand les flics sont arrivés, ils n'ont pas cherché à comprendre, ils t'ont vu tabasser des gens, et ils t'ont arrêté. Les tortures ont commencés. Tête dans l'eau pendant de long moment, décharges électriques, mutilations. Tu avais beau hurler que tu étais innocent, que tu ne faisais pas parti de leur groupe, ils n'étaient clairement pas là pour t'écouter.
Après des jours épouvantables de tortures dont tu gardes encore les séquelles, tu fus condamné et envoyé sur l'île un peu avant ta vingt et unième années. Cela fait maintenant huit ans que tu es la-bas. Huit longues années sans avoir revu ton fils, ta sœur. Tu espères qu'ils vont bien, qu'elle prend soin de lui qui maintenant doit être grand.
Plus que deux ans, et tu les retrouveras.