Histoire
So I just, I just do my little lonely dance
”Dis, tu peux me passer le numéro de Jade ?”
”Je … O-oui bien sûr ...”
”T’as trop d’la chance de l’avoir comme jumelle ! J’serais trop honnorée moi à ta place !”
”Hmm … Si tu le dis, oui.”
”Je suis fou d’elle ...”
”Je sais Ciel … Je sais ...”
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Elle le savait tout ça. Elle était au courant que sa soeur était probablement la 8ème merveille du monde. Toujours aussi douce, aussi gentille, aussi agréable, aussi drôle. Lina était surpassée en tout point. Que ce soit à l’école au niveau des notes, au niveau de sa popularité, au niveau de tout.
Comment dépasser quelqu’un de parfait ? C’était tout bonnement impossible. Et Lina vivait avec.
À force c’était devenu une habitude, d’être reléguée au second plan. Timide et réservée de nature, elle refusait souvent de venir manger avec sa jumelle et sa bande astronomique d’amis. Car dans tous les cas, mis à part Jade, personne ne lui parlerait. Elle était comme invisible aux yeux du monde entier. C’était toujours à la même qu’on souhaitait bon anniversaire, qu’on voulait dans son groupe de travail, qu’on voulait tout court. Mais Lina s’était tristement habituée et n’en tenait rigueur à personne. Les gens n’étaient pas forcément méchants. C’était juste elle qui n’était pas assez comme
elle. Qui souhaitait d’une gamine qui ne parlait pas beaucoup, tremblante à la moindre interaction, ne sachant qu’écouter, qui aimait la musique et dessiner de magnifiques paysages dans son cahier ? Personne.
Leurs parents comprirent rapidement ce rapport de force inégal concernant leurs filles. L’une extravertie, l’autre sans personne. Son refuge fut, grâce à une énième tentative de ses géniteurs de percer sa coquille, le théâtre. La première année fut très difficile. À plusieurs reprises la petite avait fui en trombe pendant les répétition tant la pression sociale était forte. Elle se sentait jugée, tout le temps, partout. Même dans les coulisses, même dans les toilettes alors qu’enfermée à double tour. Bien évidemment c’était faux. Les gens étaient doux, compréhensif et gentils. Et surtout ne parlaient pas Jade. Mais avec le temps elle s’était habituée à eux. Non en réalité. Pas du tout. Mais elle avait comprit comment faire abstraction d’elle-même, de ses peurs et de ses sentiments, pour jouer à la perfection. Faire la Juliette, jouer une folle aux chats, imiter une noble snob.
Sa technique pour réussir à ne plus être elle-même ? Une longue inspiration qu’elle bloque. La paume de la main au sommet du crâne, glisse le long de son visage jusqu’à ce que son index et son annuaire soient devant ses orbites. Comme si elle mettait une sorte de masque. Cependant elle devait avoir répété des heures et des heures. Et à ce jour, elle ne savait jouer plus que deux rôles qu’elle a continué d’utiliser encore et encore. Celui de Jade Reed et de Jack L’Eventreur.
La première avait été un simple essai pour se mettre en valeur. Pour être pour une fois celle dont les gens parlaient. Lorsque sa soeur était malade, elle allait à l’école en se faisant passer pour sa personne. Et ses amis n’y voyaient que du feu, à chaque fois. Malheureusement, cela n’avait pas duré. Lors de l’appel, Lina avait été obligé de répondre pour Jade. Cette dernière, ne remarquant aucune absence marquée sur son bulletin à la fin du trimestre, la questionna.
Et elle comprit.
La relation entre les deux soeurs s’était fracturée à cet instant précis. Néanmoins Jade ne l’avait dit à personne, ni à ses parents, ni à l’école, pour ne pas plus pourrir la vie de sa jumelle. Cette dernière lui en était reconnaissante et lui promit de ne plus jamais la trahir comme ça. Leur amitié fraternelle était sauvée.
Tout s’était accéléré lorsque Jade rencontra un certain Ciel Morton. Au départ un peu indifférente, puisqu’après tout tout le monde l’était à son égard, Lina se contentait de lui dire bonjour lorsqu’il venait à la maison ou d’essayer de faire la conversation lorsqu’il attendait Jade. De temps en temps elle les accompagnait même dehors, lorsqu’elle était forcée par ses parents. Mais un jour alors que l’actrice en herbe était sur scène, en pleine représentation, un jour où personne de sa famille n’avait pu faire le déplacement faute de ci ou de cela, elle le vit. Assis au premier rang. En train de la regarder, elle. Pas pour Jade, puisqu’elle n’était pas ici, mais bien pour elle. Malgré son masque, son coeur se pinça brièvement. Mais elle resta dans son rôle. Ce n’était pas Lina qui était sur scène, mais Juliette Capulet.
Ce jour fut un véritable tournant dans la vie de la fille. Personne outre sa famille n’avait jamais montré un quelconque intérêt envers sa personne. Et c’est là qu’elle se rendit compte que ce pincement au coeur avait bien plus puissant que prévu. Mais elle avait passé tout ça sous silence. Elle ne voulait pas détruire la vie de sa soeur.
Pourtant un soir, alors que les deux amoureux avaient passé une soirée film à la maison, Lina avait décidé d’essayer de, pour une seule fois dans sa vie, se sentir véritablement aimée. Elle trouvait ça bien trop injuste qu’uniquement sa soeur puisse profiter du bonheur. Le plan était simple. Attirer Jade en haut assez longtemps pour lui permettre de prendre sa place et enlacer Ciel pour lui dire aurevoir. Le plan fonctionna à la perfection. Même trop … Ciel, n’ayant vu aucune différence entre les jumelles, l’avait embrassé. Embrassé … Véritablement embrassé. Comme dans les contes. Comme un prince à sa princesse. Lina était sur un petit nuage. Elle laissa ensuite l’homme de sa soeur partir avant de remonter lui baragouiner une excuse pour expliquer son absence.
Malheureusement, elle n’avait pas prévu de voler le dernier baiser que ce couple pouvait s’échanger avant la tragédie. Car Jade disparu juste après. Complètement. Durant 2 longues années. 24 mois de souffrance. 104 semaines interminables. 730 jours de pleurs. 17520 heures de crainte. Introuvable. Nul part. Jusqu’au moment où la nouvelle tombe.
Elle a été retrouvé. La famille et Ciel sont convoqués pour identifier le cadavre. C’est bien elle. C’est bien Jade.
Vision cauchemardesque. Lina voyait son propre corps lacéré. Ensanglanté. Dévisagé.
Elle a pleuré. Tellement pleuré. Inconsolable, personne ne pouvait l’approcher. Sauf Ciel. Ils devaient surmonter cette épreuve ensemble, tenir pour l’autre. Durant cette période, ces quelques mois, la dernière jumelle n’avait rien tenté rien essayé. La douleur était tout simplement trop vive, trop récente.
Les mois passèrent et elle commença à profondément s’inquiéter pour l’état mental de son beau-frère, qui commençait à devenir déviant. Après questionnement il lui avoua la raison de tout ceci. Le tueur de la pauvre gamine se trouvait sur cette île où les délinquants juvénils étaient envoyés. Lina eut du baume au coeur, et se sentit presque heureuse de le voir si envieux d’obtenir vengeance. Et un beau jour, il fut arrêté. Comme il l’avait souhaité. La blonde se remit à pleurer. La dernière personne qui comptait pour elle avait disparu.
Et c’est là qu’elle décida de jouer une ultime fois la comédie.
Les mois qui suivirent, la demoiselle lut des centaines et des centaines d’articles concernant des psychopathes, des fous furieux, des tueurs. Des personnes violentes, dont il était risqué de s’approcher. Elle devait se créer un personnage. Devenir une autre, le temps d’accomplir un crime pour se faire arrêter.
Après un long moment de répétition, elle décida de passer à l’acte. Elle récupéra un gros couteau dans sa cuisine, le plongea dans un énorme pot de ketchup pour finalement se rendre au commissariat le plus proche. Il faisait nuit. À l’extérieur de celui-ci elle mit son masque qu’elle avait sobrement nommé Jack L’Eventreur. Et elle entra. Le regard livide, sourire carnassier aux lèvres, la perle nommée Lina n’était plus. Elle avait commencé à hurler un crime qu’elle n’avait pas commis -comme tuer des prostituées- et menacé les officiers de police présents. Leur réponse fut rapide, un placage au sol pour l’empêcher de blesser qui que ce soit et en cellule. Ici, Lina pensait avoir réussi, à avoir été assez convaincante pour se payer un ticket vers cette fameuse île.
Hélas on l’a reconduisit chez elle, en prévenant ses parents que leur fille avait tenté d’intimider les forces de l’ordre avec un faux couteau couvert de ketchup. Le masque de Lina tomba instantanément. Elle s’était complètement foirée.
Mais elle n’abandonna pas, non. Le lendemain, elle se rendit dans son école avec un couteau-suisse dans la poche. Tremblante de tous ses membres car elle n’avait pas eu le temps de mettre son masque, elle resta immobile dans le couloir à la recherche d’une victime à lacérer. Ne pas tuer. Elle ne devait pas. Elle ne voulait pas. Hésitant longuement elle choisit l’ancienne meilleure amie de Jade, personne qu’elle avait elle-même cotoyé lorsqu’elle s’était faite passée pour sa jumelle. Lentement elle s’approcha, les larmes aux yeux. Son nom était Jessie.
Dans un mouvement violent, brut et incertain, elle sortit la lame et la lui planta sans sommation dans la cuisse avant de reculer. Surprise d’elle-même, elle fit abstraction du monde autour d’elle qui commençait à s’agiter et récupéra son arme pour en faire une preuve avant de faire machine arrière vers la sortie. Ici elle s’assit sur un banc, appela la police et se rendit sans dire un mot.
Elle se haïssait pour ce qu’elle venait de commettre. Mais c’était la seule solution. Pour retrouver Ciel. Pour retrouver ce meurtrier.
Et puis … Pour peut-être se sentir aimée de nouveau.