Un nouveau matin se levait sur l’île. La petite tête blonde de Faith émergea tout doucement des coussins. Les cheveux tout ébouriffés et encore à moitié endormie, la jeune fille regarda autour d’elle d’un air un peu perdu, le temps de figurer où elle se trouvait. Elle avait encore dû s’endormir contre Vass la veille alors qu’ils discutaient, ce qui arrivait assez fréquemment depuis quelques temps. La demoiselle bailla et s’étira comme un chat avant de remettre de l’ordre dans sa chevelure.

Un mois. Un peu plus d’un mois qu’elle était arrivée sur l’île. Faith n’avait pas encore réellement pris ses marques, ni accepté le fait d’être là. Mais elle n’était plus si seule qu’elle ne l’était à son arrivée et elle commençait doucement à se dire qu’elle avait bien fait d’écouter Minerva et Vassily qui l’avaient guidée chez les sages. Il ne lui était rien arrivé de fâcheux depuis qu’elle était chez eux. Elle ne parlait pas encore à grand monde mais ses fuites à l’autre bout du quartier étaient de plus en plus rares.

Les alentours étaient déserts, chacun vaquait sans doute déjà à ses occupations. Quant à Faith, elle n’avait pas grand chose à faire. Depuis son arrivée, elle n’avait pas encore eu l’occasion de rencontrer les personnes en charge du gang. Ils étaient sûrement trop occupés, ou elle beaucoup trop discrète, ou un peu des deux. Toujours est-il que cela la mettait dans une situation quelque peu inconfortable. Elle avait un peu l’impression de squatter le gang sans autorisation mais en même temps elle angoissait à l’idée même de rencontrer les chefs. Qu’est-ce qu’elle allait faire si on lui demandait de partir ? Faith se renfrogna, rentrant la tête dans ses épaules rien que d’y penser. Elle ne voulait pas partir.

La jeune fille se leva de la pile de coussins et entreprit de remettre un peu d’ordre dans les tentes. C’était la moindre des choses qu’elle puisse faire. Comme ça quand tous rentreraient de leur journée, ils pourraient se poser tranquillement dans un endroit douillé et aussi propre que possible, même si personne ne saurait que Faith était à l’origine de tout ça. Elle ne voulait de toute façon pas que ça se sache. Elle le faisait pour se rendre utile et ne voulait pas qu’on fasse d’elle le centre d’attention pour ça, ni pour quoi que ce soit d’autre.

Plongée dans ses pensées et occupée à remettre en place les coussins de la tente dans laquelle elle s’était immiscée après avoir terminé la précédente, Faith n’avait pas entendu les bruits de pas s’approcher. La demoiselle était concentrée sur sa tâche et osait essayer d’imaginer qu’elle considérerait un jour cet endroit comme sa maison, Vassily lui avait dis que ça deviendrait sa maison. Elle en doutait un peu mais tout au fond une partie d’elle souhaitait y croire, c’est bien pour ça qu’elle s’occupait des lieux de vie de chacun.

Un bruit s'apparentant à un raclement de gorge se fit soudain entendre suivi d’un bonjour et Faith se figea instantanément, laissant tomber le coussin qu’elle tenait entre les mains, comme prise en flagrant délit. Elle se retourna vivement pour faire face au nouvel arrivant alors que son regard cherchait déjà une échappatoire. Échappatoire qu’elle ne trouverait pas puisque l’homme qui se tenait devant elle était posté dans l’entrée. Elle pourrait éventuellement passer en dessous d’un pan de la tente mais il lui faudrait être rapide et agile, ce que Faith n’était pas spécialement. Le souffle court, la jeune fille essaya de maîtriser sa peur, peine perdue, elle tremblait déjà comme une feuille.

Baissant les yeux, la petite sage se mit à reculer, chose inutile compte rendu de l’endroit où elle se trouvait mais instinctive. Elle se racla la gorge à son tour et répondit enfin au salut du visiteur impromptu.

“B..Bon..Bonjour…”

A force de reculer, Faith se prit les pieds dans les coussins qu’elle venait de ranger et de replacer et tomba en arrière en poussant un petit cri de surprise. Elle resta à peine quelque seconde par terre, se relevant aussi vite que possible pour ne pas paraître plus vulnérable qu’elle ne l’était déjà.

“Je...c’est votre tente ? ...Je suis désolée...je fouillais pas...je le jure ! Je..c’était simplement pour...pour rendre service. Je...pardon..s’il vous plaît…”

La voix de la blondinette se brisa, sa vieille amie -la panique- l’envahissait peu à peu. Elle resserra les poings sur son haut et se mordit l’intérieur des joues. Son regard virevoltait partout sauf sur celui qui l’avait trouvée là, elle finit par fermer les yeux avec force et essaya difficilement de se calmer. S’il était là, c’est que c’était un sage, n’est-ce pas ? Non ? Et si c’était un sage, elle ne risquait rien, n’est-ce pas ? C’était ce que Vassily lui avait dit. Elle ne craignait rien...Si ?

L’homme en face d’elle qui restait impassible et les rires que sa chute déclencha n’aidèrent pas Faith à se calmer. Elle avait la sale impression de se retrouver au lycée. Avec d’un côté, la figure effrayante d’un homme, potentiellement celui qui allait détruire sa vie et de l’autre les moqueries et brimades des autres élèves face à une gamine qui avait aucune répartie. Aucun moyen de se défendre. Qui voulait juste apprendre et vivre sa vie sans qu’on vienne y mettre son grain de sel. Ces rires rappelèrent à Faith d’autres rires aussi. Plus sombres. Ceux de ses agresseurs qui avaient pris plaisir à la casser une première fois sous leurs coups et celui, glaçant de Benji lorsqu’il l’avait trahie et qu’ils avaient alors brisé les derniers morceaux qu’il restait de Faith. L’angoisse était sourde, les alentours semblaient tourner, la petite blonde entendait à peine ce que lui disait celui qui se tenait dans l’entrée de la tente. Qui bloquait l’entrée. Respirer. C’est ça qu’il lui demandait. C’était ça ? Elle n’était pas sûre. “Respire”. Deuxième fois qu’elle l’entendit prononcer ce mot même si c’était étouffé tant la peur la rongeait de l’intérieur. Mais elle essaya tout de même. De respirer.

Souffle saccadé, coupé par la peur, Faith reprit néanmoins un peu ses esprits. Elle entendait à présent ce que l’homme effrayant lui disait. Elle ne risquait rien. Elle n’était pas coupable. Il lui sourit le monsieur. Un doux sourire. Il paraît un peu moins effrayant comme ça. Mais il est trop près. Beaucoup trop près. La jeune fille n’avait même pas remarqué qu’il s’était approché d’elle. Elle recula un peu plus une nouvelle fois. Mettant de la distance entre eux. Une distance de sécurité. Elle avait besoin de ça. Il devait penser qu’elle était folle. Faith se posait elle-même la question parfois, interrogation insidieuse qui pourrissait les réminiscences fragiles de sa maigre confiance en soi.

Il s’excusa. Expliquant à sa façon encore une fois qu’il ne voulait rien de mal à Faith, que s’il s’était montré ainsi c’était parce qu’il avait eu peur pour le gang. Parce qu’il connaissait pas la petite blonde. Parce qu’apparemment il était le chef. Milo. Vass avait déjà beaucoup parlé du chef à Faith et tenté plusieurs fois de l’amenée à lui sans jamais y parvenir. Au début c’était parce que la jeune fille était terrifiée à l’idée de se retrouver en face de lui. Puis après c’était avant tout et pour tout car ils n’arrivaient jamais à trouver un moment où Milo était disponible et où Faith était accompagnée de Vass car il était impensable pour la blondinette d’y aller toute seule. Cependant là, à cet instant, elle était face à lui. Et seule. Elle n’avait plus le choix.

“Je…”

Faith déglutit et se mordit l’intérieur de la joue pour lutter contre la panique qui pouvait revenir à chaque instant. Elle prit une grande inspiration et se lança.

“Je...je comprends. Je suis...désolée, je...c’est Minnie, euh...Minerva qui m’a conseillée de..de venir chez vous. Alors euh...c’est ce que j’ai fait...je...je savais pas où aller. Mais...mais j’ai eu peur et...je me suis cachée…”

Elle fit une petite pause, tant pour détourner le regard que pour respirer et triturer le bas de son pull, signe évident de son état de stress permanent.

“C’est...c’est Vass...Vassily qui m’a retrouvée, deux jours plus tard quand Minerva est venue voir si ça allait pour moi et que je n’étais pas là…Il...Il m’a dit que...que je serais en...en sécurité ici…”

La petite blonde lança un regard suppliant à Milo. Une supplique silencieuse de ne pas la mettre dehors, de lui laisser une chance, de ne pas lui faire de mal, de ne pas la rejeter, de l’accepter. Elle soupira alors et entreprit de finir son explication, une certaine urgence se logeant dans sa voix cristalline.

“Je...on..on a essayé de...de venir vous...vous voir plusieurs fois mais..mais vous étiez occupés et...et quand Vass était pas là...j’aurais dû venir, je sais...mais je pouvais pas...je pouvais pas, je suis désolée…”

L’émotion commençait à s’emparer à nouveau de la petite, ses yeux se baignant progressivement de larmes, dans l’attente insupportable de la sentence de Milo.